D'après l'étymologie, l'architecte est : une personne ou entité qui élabore. Je glisse sur le grand architecte des égyptiens dont les francs-macs s'inspirent, l'animal adroit ou encore les utilisations imagées du mot sans objet là tout de suite.

L'architecte de ce jour est censé être : une personne diplômée, capable de tracer le plan d'un édifice et d'en diriger l'exécution d'après mon gros Petit Robert. C'est bizarre comme ça ne saute pas aux yeux quand on voit s'élever les constructions diverses dans nos alentours !

Du lotissement qui n'est qu'un entassement de semblables rectangles entourés de rubans d'herbe triste pompeusement nommée gazon avec pour les plus cossus une option parking, garage ou encore, soyons fous, barbecue… œuvre d'architecte.

De l'immeuble plus ou moins large et haut selon la surface de terrain à dévaster, un semblant de parc sous la forme de pauvres arbustes anémiques, des parkings pour les plus chics… œuvre d'architecte.

Du massacre orchestré de célèbres immeubles citadins malencontreusement tombés dans les paluches de quelque spéculateur inculte… œuvre d'architecte.

De lieux dévots modernes, tout béton bien apparent bien gris bien triste bien vieillissant presque avant que de naître… œuvre d'architecte.

Des exemples, chacun en trouve à foison. Ils élaborent les architectes ? Ah… 

Et quand ils se mêlent de vouloir redonner vie à une maison abandonnée, c'est la caguade assurée.

Il était une fois une petite maison bien simple dans un grand parc, l'ensemble appartenait à une baronne qu'a un nom comme un trombone* qui décida de refiler le tout à la commune  sous condition que la propriété serve les arts. Dans un premier temps le parc fut ouvert aux badauds, j'en ai profité en allant assister à un mini-festival bien sympathique qui y était organisé. Mis à part mon légendaire franc-parler, j'avais passé un chouette après-midi et je m'étais promis de refaire la route pour photographier cette propriété dans un moment plus serein. Oh certes, ça n'était pas une splendide demeure tout en dorures et stucs ni même des encorbellements, des audaces sculpturales… non, un simple rectangle à un étage mais une petite rotonde surmontée d'un balcon à balustrade, une entrée dérobée affublée des restes rouillés d'une tonnelle ou d'un auvent je ne sais, des arbres et arbustes plantés tout près assez pour faire la conversation aux volets clos. Dans le parc une demi-serre ou un vestiaire peut-être, des arbres magnifiques. Ce n'est pas tant la bâtisse ceinte de tous ces ingrédients surannés qui ravissait mais l'atmosphère que l'ensemble dégageait. J'avais entrevu l'intérieur délabré aux papiers peints authentiques gondolés, escaliers grinçants et portes-vitre qui n'ont plus cours depuis un siècle……… Mais pourquoi donc n'y suis-je pas retournée avant le passage des architectes !

Il ne me reste que mon souvenir et deux pauvres clichés :

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Le temps a passé, d'autres préoccupations m'ont accaparées mais voilà-t-il pas que l'endroit se rappelle à mon bon souvenir. Une exposition est organisée dans la maison charmante et pas n'importe quoi comme exposition ! Soixante photos tirées de la "valise mexicaine"………  alors là pas une minute à perdre je fonce !

J'avais ouïe-dire que ce lieu avait été aménagé selon le souhait de la baronne. Dans ma tête de bête goupil, aménager n'est pas assassiner. Quelle déconvenue lorsqu'après avoir cheminé dans le parc heureusement intact et même un peu nettoyé, je débouche sur une façade blanche trouée de tas de fenêtres à huisserie d'aluminium sombre, d'une porte revêche et d'un garde-corps minable au dessus de la rotonde.

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L'herbe est bien tondue, c'est tout net et propre, l'âme du coin a dû s'effrayer… c'est d'un banal achevé, zutre…

Et la porte dérobée, voyons voir ce qu'elle est devenue…

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Ah oui quand même…… bon… ben… voyons voir du côté du vieil escalier de la terrasse…

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Arf… les mêmes embrasures que partout, les mêmes couleurs fades, des lumignons grossiers et comme de bien entendu la caméra de surveillance à l'angle qui darde son énorme œil torve sur tout ce qui passe ; que peut-elle moucharder d'autre que des gamins criards et galopants, des vieux à canne se trainant ou des amoureux concentrés sur l'art du bécot, je me demande.

Cette maison pourrait être n'importe où maintenant : perdus son caractère et le bout d'âme qui lui restaient malgré l'abandon. Uniformisation et fadeur.

On peut toujours m'objecter les consignes de sécurité, le besoin d'y voir clair à travers de grandes vitres, la nécessité d'entasser le plus de monde possible, le coût aussi ; le coût, tiens parlons-en ! Nos sous partent chez un avionneur milliardaire ou pour renflouer des banques pourries, ils ne peuvent pas servir à la beauté de nos entourages évidemment.

L'intérieur est absolument parfait, j'ai l'impression d'être dans un super-machin de "consommation culturelle", celui de Strasbourg ou de Toulouse, peu importe, ils sont tous agencés sur le même mode. C'est froid, bétonneux, les escaliers ont-ils été récupéré dans une moche usine ?

Question sécurité, toutes les portes sont verrouillées pour éviter la resquille. Les grandes fenêtres n'éclairent rien, bien le rebours : la vive luminosité lutte contre les éclairages électriques… et oui, on est dans le sud ! Quelle déveine, il y a du soleil.   Le moins que je puisse constater c'est que ça ne met pas en valeur la présentation des photos tout ça.

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Et c'est bien dommage, la commission d'exposition a fait du bon boulot : les soixante photos sont pertinemment choisies et bien éditées. Le travail de muséographie est soigné et explicite.

Au final dans la rotonde, on peut regarder des photos réalisées avant et pendant les travaux de "rénovation" ; je râle d'autant plus de ne pas avoir forcé le passage à ma première visite ; les cheminées, papiers peints et parquets, je ne les ai vus vraiment que sur papier… c'était beau…tant pis.

Peu de temps après, je cours visiter le vieux père Corot qui fait étape. Le musée de la petite ville ordinaire qui accueille cet illustre peintre a fait face pendant des lustres à un jardin rococo tout en taillis et allées malcommodes, bassin à canards option fontaine toujours en panne et bancs médiocres où se poser au frais sous les hautes futaies. Force est de reconnaitre qu'il était vraiment vieillot ce jardin mais deux gros hectares de verdure en ville, c'est toujours bon à prendre. Lieu de rendez-vous, de badauderie et terminus des manifs parfois.

Et voici ce qu'il en advint :

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En plein après-midi, il était grouillant de vie le jardin : les mémés nourrissaient les pigeons obèses, les papys se chauffaient la carcasse, les amoureux… bah comme d'habitude… plus quelques clodos qui pouvaient se protéger du vent souvent pénible dans le quartier en taxant des clopes aux passants.

Aujourd'hui à quatre heures de l'après-midi, le maigre monde se hâte de traverser ce désert venté brûlant ou glacial selon les caprices du temps.

A quoi ça pense un architecte quand ça transforme un jardin en factice désert sale ?

L'avantage de cette place qui n'en n'est même pas une c'est que les keufs peuvent charger les manifestants sans se prendre l'armure dans quelque traitre veille pierre… arf, le Haussmann du pauvre quoi !

 

Oh bien sûr on peut encore m'objecter que des constructions contemporaines sont magnifiques, que des immeubles grattent le ciel avec la dernière élégance, c'est vrai et j'aime beaucoup quelques réalisations emblématiques. C'est là qu'est le soucis, elles sont emblématiques ; de plus leurs propriétaires jouent à qui c'est qu'a la plus grosse, un brin puéril.

Pour le commun, des boîtes à bureaux poussent à l'orée des villes, des boîtes à vitres. De bien pâles et vilaines copies de ce que W. Gropius a pu dessiner et réaliser au temps de la splendeur du Bauhaus.

Là n'est pas encore le pire ! Le pompon de l'horreur architecturale revient incontestablement à ces immenses centres commerciaux en tôle ondulée et leur cortège de panneaux publicitaires triviaux … je me prends à rêver d'ouragans mahousses, de vortex gigantesques qui feraient le ménage de ces méprisables complexes qui défigurent affreusement les alentours citadins…… je rêve……

 

Comment faire de nos vies des œuvres d'art si nous baignons contraints dans le vulgaire, le laid, le vil ?

20 mai 2014

* piqué dans la chanson de Boris Vian "j'suis snob"