"Caractère de ce qui est urgent, de ce qui requiert une action, une décision immédiate" chez les lettrés du CNRTL ; "qualité de ce qui est urgent" il ne se foule pas le père Littré ! Gros P'tit Robert complète " nécessité d'agir vite : extrême urgence, il y a urgence… Mesure d'urgence, état d'urgence : régime d'exception qui donne, en cas de troubles graves à l'ordre public et pour un temps limité, des pouvoirs de police… " Il n'y a que P'tit Robert pour souligner cette acception du mot. Pour les précédents : faut se grouiller parce que ça urge et hop, emballé le truc.

Hors mis ces trouillants lieux les bien nommées "urgences" hospitalières où l'on file rapido en cas de défaillance corporelle histoire de ne pas se retrouver précocement boulevard des allongés, les conditions exigeant de l'extrême rapidité souvent synonyme de vaine précipitation sont heureusement rares.

C'est le principe de base de l'état d'urgence la précipitation : affolement du chef qui s'énerve devant une situation qui le dépasse et pourrait lui faire perdre sa place ; ça s'est déjà vu qu'un chef perde sa place… et même la tête… un chef qui se fait couper le chef, ça fait désordre. Cette saloperie d'état d'urgence fut fabriquée sur mesure pour accroître les pouvoirs de police pendant la guerre d'Algérie en 1955. La constitution de 1958 a récupéré le truc. Un vieux grand président gâteux le proclama partiellement en 2005 lorsque les banlieues s'enflammèrent alors que les maires ont tout pouvoir pour établir des couvre-feux, redonner un peu de calme histoire de se mettre à discuter au lieu de se taper sur la gueule. Les tapages cessèrent, pour le reste on attend encore.

En farfouillant, on peut découvrir que l'article 55-385 du 3 avril 1955 s'est fait tripatouiller pour la dernière fois le 22 février 2016… tiens, tiens… Oh faut pas faire ton étonnée vieille goupil ! Notre petit président l'a bien doctement expliqué à nous autres pauvres cornichons que "nous sommes en guerre".

Ah bon ? Nous sommes en guerre ? Mince alors… contre qui donc ? Pourquoi qu'il n'enclenche pas carrément l'état de siège pendant qu'il y est ?  

Les abrutis débiles qui ont mitraillé à carnage en novembre dernier n'imaginaient pas que ça tombait au poil leurs infâmes actes. Et hop un état d'urgence oùsque les flics agissent comme ça les chante. Ils ne perdent pas de temps les keufs aux ordres déguisés en robot. Arrestations à tour de bras, assignations en masse d'un tas de dangereux individus : des opposants à l'imbécile deuxième aéroport nantais, des paysans militants bio, des activistes anti-pollueurs, des potes de Rémi Fraisse tué à Sivens par un gendarme… que des néfastes dangereux armés de poireaux certes mais attention, de poireaux chargés ! Curieusement toutes ces assignations, ces perquisitions dégringolent juste avant la grand messe de la COP 21 qui, on allait voir ce qu'on allait voir, scellerait dans le marbre de l'autel une résolution efficace pour tenter de sauver un peu du biotope humain. Curieusement encore pas un méchant, puissance de feu en bandoulière-pois chiche moisi en cervelle, ne s'est entribardé les pinceaux dans les grands filets à rafler. On n'a pas encore tout vu. La prolongation de l'état d'urgence proclamé le 14 novembre 2015 a été largement approuvée par la représentation nationale, pas un parlementaire pour hurler que la République fout le camp. Cette assemblée de pusillanimes péteux n'est plus qu'une caricature qui exécute les ordres tombés d'en haut. Encore que pour l'instant, presque on l'échappe belle car il est prévu de faire entrer ce sale état dans la Constitution ainsi que la déchéance nationale pour les terroristes : consternation ! Un état d'urgence permanent ? Jarnicoton !… fallait l'oser celle-ci. Une déchéance nationale ? Bigre ! Redoutable d'efficacité à l'évidence, plus un seul kamikaze n'osera se faire sauter le caisson en entrainant les voisins dans le massacre tant la crainte de sa déchéance de nationalité va le poindre.

Ben alors mon petit président ? On se prend pour Rambo dans "le retour de la vengeance et attention que ça va chier grave" ?

Des incursions flicardes d'une grande violence, des portes défoncées logements ravagés, des adultes battus et menottés devant leurs gosses affolés parfois, des assignations à résidence qui tombent sans raisons sur le dos de citoyens qui n'en peuvent mais et pour quel résultat ? Trois mille trois cent violences policières* dignes de la plus martiale des dictatures pour aboutir à… rien du tout. Peut-être deux ou trois vrais suspects dans le ratissage et encore ce n'est point assuré, belle performance… si-si j'insiste : félicitations ! Ah je gausse et raille mais je dois reconnaitre que vous et votre aréopage de collègues présidents n'avez pas été emmerdé pendant le pince-fesse de la COP 21 grâce à l'assignation de tous ceux qui auraient pu faire de l'ombre au raout congratulatoire entre chefs. Vous avez ordonné que les militaires investissent nos rues armés à balle réelle pour rassurer la population. Moi ça me fout la trouille ces treillis sur patte mitraillette au bras. Ils ne sont pas formés pour des opérations de police et n'en ont d'ailleurs pas le droit ; le jour où un de ces pauvres gars plantés dans les courants d'air s'enrhume au coin du carrefour, éternue en crispant son doigt sur la gâchette de sa sulfateuse, ça va faire un tantinet des dégâts. Et ça ne sera pas devant votre porte assurément. Le pire de l'histoire c'est que vos gesticulations ne servent à rien contre les barbares. Même le syndicat Alliance police peu suspect d'angélisme critique vos options guerrières c'est dire si vous êtes à côté de la plaque ! Voyez l'exemple d'Israël qui vit en état d'urgence depuis des lustres sans pouvoir empêcher des attentats quasi quotidiens. A l'heure où j'écris, deux gonzes se sont tranquillement mis au vert après avoir hier en plein jour, dévalisé une bijouterie place Vendôme un des endroits les plus gardés de Paris. Ils sont tranquillement arrivés à pied avec une grosse arme et une grenade, ont tranquillement vidé les vitrines, tranquillement ils sont repartis à pied sans être inquiétés le moins du monde. Ç'aurait été deux kamikases, ils auraient été tout aussi tranquilles.

Ça se déchaîne beaucoup dans les années 80 les attentats en relation avec le moyen-Orient ; les Carlos, Abou Nidal, Hezbollah, GIA et compagnie semaient une atroce terreur exotique entre deux attentats corses ou basques ou arméniens… ah les bretons aussi faisaient dans la sauterie, faut pas que je les oublie les bretons. L'état d'urgence ne fut pas décrété une seule fois. Il y eut quelque répit dans les tensions internationales cependant il ne fallait pas être grand clerc pour savoir que ça allait re-péter un jour ou l'autre. Il est bien temps de prendre des dispositions liberticides pour censément contrer les méchants après les évènements alors que jamais personne ni aucuns moyens n'ont empêché, n'empêcheront des tarés de commettre une horreur.

Vous bouffez nos libertés, vous assignez les empêcheurs de bétonner-polluer, vous lâchez les meutes policières que vous armez en guerre pour nous assurer quiétude selon vos discours ; c'est bien à rebours instiller le doute et la peur dans l'esprit général, le sentiment diffus d'insécurité dans la population qui est priée de vous donner son assentiment alors que les menaces bien réelles ne sont pas pires que ce que notre pays a déjà connu sans pour autant déployer un arsenal supplémentaire à vigi-pirate déjà bien lourd. 

Vous vous faites offrir de jouer au sabre chez votre copain Saoud, vous faites ami-ami avec le Qatar, tous ceux-là qui financent des armements français à distribuer aux voisins comme l'Egypte et qui, de l'avis général, financent en parallèle les groupes dits "Jihadistes"**. La politique étrangère d'un pays comme le nôtre qui fut un grand colonisateur n'est certainement pas simple, la situation dont vous avez héritée non plus, fallait pas vouloir la place si vous étiez aussi guerroyeur que vos prédécesseurs si vous n'aviez pas d'options intelligentes à essayer de mettre en œuvre si vous n'êtes pas foutu de taper du poing sur la table de l'Europe qui fait semblant de ronfloter tout en tirant des ficelles  belliqueuses. Je cite votre parole publique : "Il y a des conflits dans le monde, sur la planète, les enjeux de l'environnement, du réchauffement climatique : bien sûr que le président doit être à la hauteur de ces sujets-là, mais il doit aussi être proche du peuple, être capable de le comprendre."

Qui a dit "gouverner c'est faire croire" ?

Décidément ce régime présidentiel me pue au nez.

Comme j'ai l'esprit fort mal tourné, j'imagine qu'entre deux exercices de nomination à des emplois aussi superfétatoires que rémunérateurs de vos bons copains maîtresses et affidés, vous pouvez vous assurer que l'œuvre de destruction du code du travail et des services sociaux commandée par vos donneurs d'ordre du syndicat des patrons… euh pardon, du mouvement des entrepreneurs (et ouais, ils sont un peu pudiques : patron, un mot qui leur fait peur) glissera à l'aise dans un état policier muselant par la force l'expression de la colère du peuple. Un vieux slogan pourrait revenir à la mode : "police partout-justice nulle part".

Avez-vous réfléchi qu'à perdre les prochaines élections, vous céderez peut-être la place à la grosse blonde qui n'aura aucun autre soucis pour asservir tout son saoul que d'appliquer à la lettre les dispositions que vous avez prises ?

Cependant que nos besoins fondamentaux d'instruction, culture, soins, justice foutent le camp, vous avez choisi de forger des armes. Tout ce que vous êtes en mesure de faire pour avoir l'air d'un président c'est réduire nos libertés fondamentales, vous avez effacé le mot Liberté de notre devise qui résistait plus ou moins mal depuis 167 ans. Bravo…

2 mars 2016 

 

* d'après des chiffres avancés par diverses sources

** terme totalement impropre inventé par je-ne-sais-qui