En grattouillant les pages jaunies cassantes et odorantes du vieux dico de 1828 dont j'héritai il y a peu, je lis l'entrée papier : "feuille mince faite de pâte de vieux linge broyé"… houla ! il est vraiment vieux ce dico. Aujourd'hui c'est un grand luxe de pouvoir écrire sur du papier chiffon.
La définition basique du  CNRTL est plus actuelle : "matière à base de cellulose, faite de fibres végétales naturelles ou transformées, réduites en une pâte homogène que l'on étend et sèche pour former une feuille mince"
Il existe des tas de méthodes de fabrication du papier pour des usages différents :"bouffant - crépon - cristal - de soie - marbré - maroquin - pelure - maïs - bible - chiffon - couché - de Chine - du Japon - bulle -  journal - mâché…" la page n'y suffira pas tant il y a de façons.
Mes papiers préférés c'est le bible tout fin doux et dense ou le soie que je déchire en p'tits bouts avec délectation, colle sur une toile, barbouille de peinture pour inventer des formes et puis le capiteux papier d'Arménie dont on peut promener un morceau incandescent pour embaumer d'Orient un lieu trop ordinaire.
Gratter sur le mot papier rappelle combien de locutions contiennent ce mot, gratte-papier par exemple ! moins gai le papier-monnaie, être dans les petits papiers d'un quelconque personnage dit important, papier timbré… ça existe encore le timbre fiscal ? papiers de famille, ça c'est pour le notaire serré de la cravate qui annone un testament aux héritiers qui ne vont pas tarder à s'entre-déchirer.
Le papier à lettres bien sûr ! tout simple, tout blanc un peu mœlleux et un chouette stylo-plume pour envoyer des amitiés, des amours à un petit monde intime ; las, ne plus pouvoir écrire à cause de mains épuisées est bien désolant. Finalement ce n'est pas si mal l'invention du clavier.
Quoique… l'écriture n'est pas la même à l'aide d'un clavier : moins spontanée, exempte de ratures de repentirs, incidemment d'une discrète tache de café ou d'une escarbille de tabac qui offrirait une miniature d'étoile au destinataire.
 
Moins spontanée… cause pour toi vieille goupil !
Mouais… si je m'en réfère à quelques réactions lues en commentaire d'articles de la presse informatisée, parfois je me demande si, au contraire ce n'est pas le clavier qui fait la spontanéité sinon comment expliquer la trop souvent stupidité desdits commentaires ?
Le moindre article suscite des réactions d'une telle imbécilité que ç'en est consternant.
Par exemple et pas du tout au hasard je lis un article qui interroge un médecin sur cette saloperie de virus chinois ; quoi que le professionnel de santé profère, les réactions sont d'une violence inouïe et parfois accompagnées de menaces fort peu voilées de lynchage et autres sévices. Pour peu qu'un internaute assez sensé pour essayer de recadrer le débat qui serait salutaire s'il était apaisé, se fait remonter les bretelles aussitôt et prend à son tour une bonne volée d'insanités.
Sur les réseaux sociaux que je ne fréquente pas mais dont je ne peux échapper aux faits divers qu'ils génèrent, il semble bien que la crétinerie la plus crasse y a installé son nid puant.
Une jeune fille en manque de vocabulaire annonce qu'elle enfile du doigt un dieu quelconque… pas dégoûtée la gamine ! C'est une opinion comme une autre, peu argumentée certes… voilà-t'il pas que se déchainent des milliers de paluches frénétiques bien planquées derrière leurs écrans pour l'agonir d'horreurs telles que viol, décapitation… j'en passe et des plus pires.
Pour une fois la police se débrouille à remonter le fil informatique du compte de réseau de la demoiselle,  tombe sur le râble de quelques courageux violeurs-décapiteurs et les fout au tribunal.  La demoiselle a manqué de syntaxe et les nigauds d'en face une occasion de se mettre les mains dans les poches.
Je m'interroge : si ces réseaux mercantiles n'existaient pas, la demoiselle eut-elle craché son opinion par exemple en épinglant dans son dos un papier proclamant l'usage de son doigt ? les pré-violeurs lui eurent-ils en retour servi sur papier sous enveloppe leurs menaces mortelles ?
Ces braves gens car je suis convaincue qu'ils ne sont pas si misérables, qui, embusqués derrière l'écran, promettent ces paquets d'avanies auraient-ils sorti le papier du tiroir de la table du salon, cherché un stylo dans le pot sur le dessus de cheminée pour écrire leurs extravagantes inepties, rechercher une enveloppe puis sortir de chez eux pour quérir un timbre et poster leur minable poulet si internet n'existait pas ?
Ô vous excités du tweet, gonflés du clavier, pourfendeurs du n'importe quoi ne comprenez-vous pas que vous êtes aiguillonnés par quelques marchands qui s'enrichissent grandement grâce vos clics. Plus le chiffon rouge se balance sous votre pif, plus vous foncez dedans ; seriez-vous des taureaux, de ceux qui finissent par mourir dans l'arène faute de savoir encorner avec discernement ?
N'imaginez-vous point un seul instant que vous pourriez vous-même un de ces jours malchanceux recevoir les mêmes saloperies sans rime ni raison que vous infligez à des inconnus ?
A tout le moins et puisque l'outil existe, vous pourriez vous attaquer avec quelques arguments aux puissants qui nous gouvernent, aux grands planqués des paradis fiscaux, aux vermines qui trainent leurs guêtres dans les ors de la république… bref aux nuisibles.
Vous avez des rancœurs, du mal-être peut-être alors ne vous trompez pas de cible, cela fait trop plaisir à ceux qui s'efforcent de nous mettent à genoux.

 

Cet outil magique qu'est l'espace numérique crève sous l'avalanche de paltoquets qui ne se rendent même pas compte du ridicule de leurs propos bileux ou pire qui en sont fiers alors qu'ils ne font que faire "marcher le commerce" et la foire aux indignations passagères  émotions factices, c'est ballot.
Ou alors, qu'ils regardent ailleurs, qu'ils sortent de leur écran ! Le ciel, la beauté d'un oiseau, le sourire du voisin, la pluie qui mouille, le soleil qui réchauffe, la lune au soir tombant… je ne sais pas moi, il y a tant à voir sentir et renifler, la vie pas factice… et puis lire un vrai livre en vrai papier, pourquoi pas ?

La musique adoucit les mœurs, il aurait dit Platon…

Laissez parler… HK et les déserteurs

HK deserteurs

 
Et si l'on n'aime pas la musique et les vers du grand Gainsbourg, on peut toujours lire Monsieur Eco qui déclarait à la presse italienne en 2015 peu avant de mourir :

« Les réseaux sociaux donnent la parole à des légions d'idiots qui ne parlaient auparavant que dans les bars après un verre de vin, sans nuire à la communauté. Ils étaient immédiatement réduits au silence alors qu'ils ont désormais le même droit à la parole qu'un lauréat du prix Nobel. C'est l'invasion des imbéciles. »

28 septembre 2021