Être indigné, s'indigner, c'est dans l'air du temps.

L'extraordinaire Monsieur Hessel a foutu dans le mille avec son petit opuscule "indignez-vous". Il aura fallu qu'un vieux monsieur de 93 ans, qui n'hésite pas à se coiffer d'un bonnet phrygien à l'occasion, écrive quelques mots clairs et précis pour qu'une foultitude de gens reprenne en chœur le credo de l'indignation. Tant et si bien qu'ils se nomment les indignés tout simplement. Le terrain était fertile, le livre s'y est déposé et ça pousse vaille que vaille.

C'est un sentiment fort que l'indignation, une colère sourde, une grosse envie de révolte devant des atteintes à la dignité humaine. Contre ce qui heurte la conscience morale grandit l'indignation.

En provenance du verbe, le substantif possède des qualités judiciaires ; l'indignité nationale infligée aux traîtres, l'indignité électorale qui prive du droit de vote un quidam qui aurait commis quelques vilenies. De l'abaissement, du déshonneur, ce n'est pas reluisant l'indignité !

Mais revenons à la maison l'indignation. Pas très compliqué d'avoir la conscience morale indignée par les temps qui courent. Même au plus haut niveau de l'état siègent des indignes qui, au gré de leurs copinages, légifèrent, ordonnent, décrètent des lois indignes d'une république laïque qui se proclame libre, égalitaire et fraternelle.

Je laisse de côté la fraternité, je n'ai jamais bien compris pourquoi il faudrait que je sois fraternelle avec tout un chacun pourvu qu'on ait la même nationalité. Quelques-uns me débectent assez profondément pour être indignes de ma capacité fraternelle au rebours d'autres, pas français, qui n'y ont pas droit alors que je leur en donnerais plus que bien volontiers. Cette fameuse fraternité s'arrête net en freinant bien fort à nos frontières ; quand je vois, lis, entends comment sont traités nos congénères des autres pays par notre politique étrangère je n'en tire pas fierté, c'est le moins qu'on puisse dire ! Peut-être bien que ça m'indigne…

La liberté… bah je l'ai déjà dit, qui serait contre ! Sauf qu'elle en prend un coup dans les gencives quasi tous les jours. Et même la nuit. Obligation d'avoir des papiers d'identité à présenter en permanence alors que la carte d'identité n'est pas obligatoire, c'est futé ça… Caméras de surveillance, prélèvements ADN tous azimuts, téléphones géo-localisés, ordinateurs surveillés, cartes bancaires espionnées, liste des cartes grises vendue par le ministère (cf "canard enchaîné du 22.2.2012) et ces charmantes boîtes-à-flash qui nous prennent en photo le long des routes, c'est-y pas mignon… Pour notre soit-disant sécurité, nous sommes rackettés, fliqués, fichés, encartés, listés et j'en passe des mises en coupe réglée de notre liberté alors qu'on n'a jamais encore vécu dans une société si tranquille ! Bientôt soixante-dix ans qu'il n'y a pas eu de guerre sur notre territoire, c'est grâce aux écoutes téléphoniques ? Quant à la criminalité, m'en causez pas ! Les statistiques officielles annoncent qu'elle a augmenté ; ah bon … La population aussi augmente, ça doit avoir un petit rapport non ? Et puis faudrait un peu hiérarchiser les choses, un vol de bicyclette, ce n'est pas tout à fait de la même eau qu'un assassinat bien sanglant quoique ce soit grave râlant ; on s'en remet d'un vol de bicyclette, d'un assassinat moins. De quoi faire marcher plein tube la machine à indignation.  

Pour l'égalité, c'est le pompon, le sommet, un vrai Everest ! Comment peut-il avaler le principe d'égalité l'ouvrier qui voit son patron brader l'outil aux actionnaires et se retirer grassement pourvu d'un parachute en or massif ? Alors que lui… ben, j'vous fais pas dessin de ce qu'il va perdre, égalité on a dit, arf…

Comment peuvent se sentir égaux des gens qui, pour le même temps de travail, ne sont pas payés au même taux, n'ont pas les mêmes temps de repos ?  

Comment peuvent se sentir égaux des petits paysans face aux gros agro-industriels quand 80 % des compléments de prix européens filent dans la poche de seulement 20 % des agriculteurs ?

Comment peuvent-ils se sentir égaux les dépourvus de travail face au diktat de productivité de Pôle emploi ?

Comment peuvent-ils se sentir égaux les démunis qui n'ont reçu ni l'éducation ni l'instruction nécessaires pour espérer avoir une vie pas trop désagréable ?

Je pourrais en lister trois pages des inégalités flagrantes et massives que notre société trimbale.

De quoi s'indigner et pas qu'une fois, nom d'une pipe en bois d'arbre !!!

25 février 2012