C'est pas que j'en sois si fière mais… j'ai migré ! Presque. Mon site a migré d'un serveur à l'autre. Ce qui a eu le don de m'entraîner dans des rêveries insensées. Le caniche rouge sautait d'une niche à l'autre sans omettre de compisser tout ce qu'il trouvait comme lampadaires sur son chemin cependant que les humains capturés reprenaient leurs libertés diverses, les fleurs étaient fanées et les arbres tombés sous le coup du bûcheron. Les montagnes se promenaient bras-dessus bras-dessous avec les collines en dégoisant sur les coteaux trop fiers pour se mêler à d'autres bossus. Et si les bazars de l'atelier en profitaient pour se révolter de l'étroit dans lequel ils sont confinés ?

Et non, bien sûr qu'il ne s'est rien passé de tel dans ce virtuel déménagement. Ah si ! Ce fut long, habitués que nous sommes à appuyer sur un bouton pour être servi. Il a fallut attendre que toutes les connections veuillent bien se rencontrer et s'accorder. 

Du coup je me demande ce qu'il en serait si je devais migrer mon petit moi ailleurs, quitter mon pays. Je me gratte les tifs, je dubite. 

Dans la vraie vie, c'est comment de migrer ? La plupart de ceux qui le font sont poussés par une obligation impérieuse. Fuir un état de misère, de malheur, de guerre, une famille pourrie, tenter de survivre ailleurs. Pas simple. Et mal accueilli de surcroît le migrant est un fauteur, fauteur de quoi ? Ben de rien mais l'autochtone qui n'a pas la vie qui lui convient reporte si facilement son mal-être réel ou supposé sur l'autre, celui-là qu'est un "pas d'chez nous" bouc émissaire si commode à désigner, plus fragile et sans défense qu'un natif.

Il suffit d'un minimum d'empathie pour ressentir ce que ça doit être que de tout quitter de son début dans la vie, paysage, nourriture, littérature, histoire, us et coutumes pour essayer de se fondre dans un autre genre d'organisation sociétale tout en sachant qu'on sera mal venu, pas accueilli, cantonné aux emplois de base mal rémunérés et assigné à résidence dans des logements qui n'en ont que le nom. Quelques-uns réussissent pour combien qui échouent dans une vie morne sans possibilité, ou courage, ou les deux d'en sortir.

Alors, si je devais migrer… Que de questions se poseraient et comment arriverais-je à surmonter ? Vraiment, je ne m'en sens pas ! C'est peut-être pour cela que je vois le migrant venu dans mon pays d'abord comme un humain avec deux bras, deux jambes, deux yeux, un nez, une bouche… ah et puis oui, deux oreilles ! J'allais oublier les oreilles. Après, si j'ai la chance de le rencontrer, je lui trouve des morceaux pas visibles, un cœur, un esprit, des raisonnements et des réflexions. Il peut m'enrichir de son origine, je peux lui raconter mon pays ; on peut se comprendre et s'accepter dans nos différences qui, loin de nous affronter, nous enrichissent. On peut aussi copieusement s'engueuler.

Oui, d'accord mais bon… t'as vu… celui-ci à volé, celui-là trafique, ceux-là font du bruit, celle-ci est une salope, l'autre là-bas il fait rien qu'à rien foutre ! Bé oui et alors ? C'est bien ce que je dis, ce sont des humains qui ont les mêmes fulgurances, les mêmes beautés, les mêmes bassesses d'où qu'ils viennent où qu'ils aillent. Comme moi, comme lui, comme elle qui sommes natifs d'entre nos frontières.

Et si je tentai de faire une liste de tous les migrants qui ont nourri la culture de mon pays, j'y passerai bien la journée et j'en oublierai. Allez, vite fait et sans jugement de goût ou de valeur… voyons voir… Picasso, Dali, Jankélévitch, Cioran, Offenbach, Montant, Chagall, Ionescu, Vartan, Aznavour, Goscinny, Perec… migrants ou fils, filles de…

Quelque soit le mot accolé à une personne déplacée ou qui se déplace contrainte et forcée, exilée, immigrée, déportée, éloignée, c'est une épreuve douloureuse, pas besoin d'en rajouter une couche en tirant la langue ou pire quand on la croise. Personne n'est à l'abri d'une épreuve pareille.

24 avril 2012