A la fin de ma journée marathon pour voir le plus possible de lieux au festival Visa pour l'Image, je ne manque pas de faire une visite à la bibliothèque éphémère pour acheter le catalogue des expos. Il y a des tas de bouquins de photographes, des revues, des biographies… ça fait rêver toutes ces publications et cette année il restait un exemplaire du coffret de la Valise Mexicaine… Holala c'est plus du rêve là, c'est carrément une envie qui prend aux tripes… bon, réfléchissons… comment c'est que je pourrai piquer ça ?

Mais non je blague… et j'ai fait bien mieux sans m'en rendre compte. J'ai dû avoir l'air si affamé, si envieux de vivre l'histoire rocambolesque de la Valise et d'étudier photos et Histoire que l'époux préféré l'a chopé et dument payé avant de me le mettre dans les bras !

"Jamais autre que toi………"  (Baschung)

Avant de développer cet extrait-7 souffrez donc quelques lignes sur mon impression du Visa 2013.

La Syrie en guerre civile abondamment du côté rebelle car le côté loyaliste est impénétrable, l'histoire petite et grande un peu avec John G. Morris et ses clichés de 1944 en France jamais montrés à part deux très célèbres ainsi qu'une expo du "off" sur l'Algérie des années 20… formidable ces photos ! Et puis, la Turquie en émeutes. Et puis quelques sujets plus légers : des types hindous à loilepé en pèlerinage - des vies de lions - la ville de Kinshasa déroutante. Et puis tout le reste des malheurs du monde tel qu'il va : des aliénés enchaînés - pendant le conflit la vie continue - une bonne femme qui se fait tabasser par son mec - les femmes pachtounes asservies - des gosses esclaves en Haïti - le feu dans une usine du Bangladesh…… bref que du youpi-tralala-tout-baigne sur notre petite planète. Des rétrospectives de grands parmi les grands, Mc Cullin dont l'expo s'appelle "la paix impossible" et Joao Silva qui se remet péniblement trois ans après avoir perdu ses jambes en sautant sur une mine.

Rien en Egypte, dans les contrées maghrébines, en Sud Amérique (à part un sujet sur la pacification des gangs à Rio do Janeiro), en Asie au sens large pourtant l'Indonésie, le Pakistan et tout le toutim c'est pas calmé par là-bas ! Et le Japon, rien… la Chine nada, la Russie pas mieux que l'Europe de l'est. Pour l'Afrique noire, pas beaucoup pour un si grand continent, juste un retour en RDC après les grands massacres, ça s'arrange pas bien là-bas non plus. Un p'tit bout d'Afghanistan quand même.

il y a de plus en plus de photographes autochtones à être exposés il me semble, ça c'est chouette.

J'ai lu quelques articles et points de vue de photographes qui ont de la bouteille et disent à peu près la même chose : les jeunes gens désireux d'entrer dans ce délicat métier foncent, en free-lance sans accréditation ni aucune assurance d'être publiés, tous au même endroit celui qu'est médiatique à un instant T.  Les vieux d'la vieille déplorent le manque d'imagination de la jeunesse à choisir des sujets, les cerner et les étudier avant de partir chercher la moelle de ce qu'ils devraient avoir à en dire. Un grognon assure qu'une photo ne parle pas puisqu'elle ne répond même pas quand on lui dit bonjour… seulement voilà… il faut qu'un reportage dans son entier ait une progression et un style narratif qui feront passer l'information, l'émotion, l'envie d'approfondir du spectateur qui devient pour le coup un lecteur attentif, pas un bavard qu'attend que la photo lui cause. Bref les gamins, faudrait un peu bosser, pas faire le mouton ; faut aller là où les autres ne vont pas et ramener du récit (et du bon !) si vous voulez qu'on vous édite et qu'on vous expose… au boulot !

Maintenant j'en viens au fait, je vous entr'ouvre la Valise Mexicaine… qu'est pas une valise, sous forme de coffret cartonné, deux volumes :

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Au dos du coffret cartonné, les fac-similé des cartes de presse ou autorisations de Chim, Capa et Taro :

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Dans le premier volume, l'histoire de cette fameuse Valise (en réalité quelques boîtes) comment elle fut confiée, perdue et enfin retrouvée. Des photos des boîtes illustrent les propos. Une explication du boulot de Titan qu'il fallut déployer pour classer, trier, ré-attribuer les négatifs à chacun des trois et trouver où ce fut pris en vérifiant in situ, pas simple :

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Des cartes montrent les déplacements des photographes sur le territoire espagnol avec mention des lignes de fronts puis les biographies et quelques photos d'eux prises par d'autres (Stein notamment), Taro et Capa jeunes et beaux qui semblent insouciants :

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Et des essais très intéressants sur ces pionniers inventeurs du photo-reportage, sur leur travail et comment les médias s'en sont emparés, comment les images ont changé l'expression de l'actualité et comment elles sont devenues socles de propagandes :

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Dans le deuxième volume, les 4 500 photographies sous forme de planches-contact avec des précisions sur les lieux, l'action, les personnes représentées, etc…

Ci-dessous, ce n'est pas pour rien que j'ai choisi "l'épisode" Teruel ; le premier half-track à rentrer dans Paris en cours de libération s'appelait Teruel (appartenant à la nueve de la 2ème DB) et était monté de républicains espagnols qu'avaient bien de la rancune pour les gouvernants socialistes (!!!) français qui leur avaient refusé les livraisons d'armes qu'ils avaient payées qui plus est ! Ils sont venus continuer le combat anti-fasciste par chez nous ces courageux.

Question subsidiaire, le socialo serait-il un traitre permanent ?

Et Teruel c'était avant Brunete où Gerda Taro fut tuée par un char républicain dans la panique du repli, première femme photo-reporter à mourir son "arme" à la main.

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Très très court résumé de cette somme historico-photographique, travail éditorial des éditions Actes Sud à saluer !

L'unité de lieu ne me suffit pas à lier Visa pour l'Image et Valise Mexicaine.

Il y a une raison bien plus profonde et plus forte que j'ai découverte en étudiant les planches-contact. Ces trois zigs étaient des bons, Chim jouait du clair-obscur, Capa des compositions en diagonale, Taro des sujets à la Bauhaus, celui d'avant 1933 évidemment ; non seulement ces gens rapportaient ce qu'ils voyaient mais l'interprétaient pour le mettre à disposition de la compréhension de tous, ce n'est pas encore ça le troublant.

Ils ont fait pendant la guerre civile espagnole les mêmes photographies que les reporters actuels qui bossent en Syrie ou ailleurs là où ça se frite sévère et méchant. Oui les mêmes prises ! Seuls changent les habits, les coiffures, les uniformes, les armes et le sang devenu rouge quoique ça se voie aussi très bien en noir et blanc le sang perdu. Mêmes affûts dans des villes en ruines, presque mêmes chaises abandonnées en pleine rue, mêmes morts dans les grotesques postures de la violence du trépas, mêmes blessés gisants en attente d'hypothétiques et maigres secours, mêmes jouets laissés dans la débâcle d'un exil, mêmes pans de murs percés pour surveiller l'ennemi, mêmes cohortes de réfugiés, d'orphelins, mêmes temps de pause… un peu de toilette, quelque chose à grignoter, des cigarettes partagées…

Tout change, rien ne change.

9 octobre 2013