Décor : dans une ancienne école, la grande mairie d'une toute petite commune de profonde cambrousse

Epoque :  cet automne, XXIème siècle le 6 décembre 2014

Acteurs : le maire, cinq conseillers municipaux, le président du conseil général et deux affidés à lui plus mézigue.

Didascalies : le ton des dialogues reproduits sont d'un calme roué côté chef, éruptif, véhément, colère côté mézigue 


D'où vient que les politiciens partent en campagne lorsqu'ils veulent se faire élire, qu'ils attaquent les grandes et petites manœuvres pour choper la queue du mickey ? Je ne sais pas : battre la campagne comme le font les chasseurs peut-être… pourtant on dit la pêche aux voix, la pêche n'est pas la chasse… m'enfin bon, passons.

En allant chercher mon dû de sacs-poubelle à la mairie, je taillai une bavette avec le maire, nous causâmes de choses et d'autres, notamment des importantes qui nous font défaut. Il m'apprit ainsi que le président du conseil général, le grand chef quoi, venait nous visiter le lundi suivant. Nom d'une pipe que j'y dis au maire, je viendrai lui toucher deux mots à ce quidam. Deux mots… façon de causer… des bordées, des salves oui !

Le jour dit j'arrive pile à l'heure ou bien ma montre fatigue. Tout ce petit monde est déjà installé autour des bancals plateaux sur tréteaux, seul luxe que nous puissions nous offrir en guise de table communale. Je frappe à la porte pour la forme et entre en faisant une rapide révérence histoire d'éviter de serrer toutes les pognes ; un collègue m'avance une chaise qu'il pose à côté du chef. Du coup, j'y serre la paluche au chef que je connais pour avoir essayé vainement en 2005 de l'attirer à une réunion publique afin qu'il explique pourquoi il voterait oui au referendum sur le Traité Constitutionnel Européen, il n'avait pas d'arguments probablement…… puis pour l'avoir sollicité, sans succès on s'en doute, sur d'étranges devis de travaux semi-publics particulièrement onéreux par rapport au travail à fournir. Ah oui et puis aussi lorsqu'il vint soutenir d'une demi-fesse la candidature de député d'un de mes proches.

Notre bon chef se racle la gorge et puis :

- vous le savez, je n'ai qu'une parole…

- oh super ! Je vais avoir enfin la réponse que tu m'as promise absolument rapidement et que je n'attends que depuis sept ans !

Pas de réaction, on est patient quand on fait chef

- …si vous nous réélisez, nous viendrons tous les ans faire le point…

- ah mais c'est pas tous les ans qu'il faut que tu viennes c'est toutes les semaines, on te montrera qu'on n'a pas de téléphone pendant deux jours au moins chaque semaine, qu'on a de longues coupures d'eau en plein mois d'août parce que le tuyau est pourri même que mes potes africains en vacances chez moi en étaient complètement éberlués… pas de réseau de téléphonie mobile et encore moins de réception internet, cela va sans dire

- oui mais là, c'est privatisé on n'y peut rien, faut voir avec les opérateurs

Je m'en doutais qu'elle allait tomber cette réponse, on se décharge sur le privé qu'est tout content de choper de la rente, qui a augmenté de vingt-cinq-pour-cent l'ardoise en cinq ans sans investir le moindre picaillon dans la modernisation des installations. Les contrats de délégation de service public ne sont que torche-cul pour ces opportunistes. Pardi pourquoi se gêner, personne ne moufte.

- mais alors vous n'avez qu'à nationaliser !

Ça fait rigoler les collègues, les affidés attendent la fin de l'orage bien sagement

- ben quoi ça vous fait marrer, tant mieux ! Ils disent qu'ils sont socialos eux là… alors quoi ?!?!?!

- oh vous savez, ça fait un moment qu'on ne privatise plus

Il espère se rattraper comme ça ? Quelle pauvreté de trait et quel mensonge !

- ah ouais comme ce qui se trame à l'aéroport de Toulouse① peut être…

Pas un geste, pas un mot de dénégation

- pour le téléphone mobile, les communes pourraient faire poser des antennes-relai afin d'obtenir du réseau au moins sur un point de la commune par exemple devant la mairie

- ah ouais génial, tu te casses une patte à quatre kilomètres, tu te traines à la marie pour téléphoner aux secours… ben voyons !

Sans compter que les petites communes de pauvre budget ne trouveront pas les moyens de payer des poteaux puis d'aller faire la danse des sept voiles chez les opérateurs pour supplier qu'ils viennent poser des antennes… et pas gratos naturellement. C'est privatisé, on est privé de services : logique socialiste

- et l'eau coupée faute d'équipe pour venir réparer… et quand je reste bloquée douze jours parce qu'une coulée de boue conséquente bloque la seule voie d'accès, je fais quoi ? Un bon orage d'été et paf je reste coincée… deux-trois jours c'est normal tu vois, on est à la campagne on est habitué à se débrouiller… comme pour l'hiver si la neige tombe on reste au chaud en attendant que ça passe mais là… douze jours tu te rends compte, douze jours sans pouvoir passer, aller au boulot, faire les courses, etc. et finir par devoir appeler un huissier pour constater officiellement l'incurie publique ! Moi appeler un huissier tu vois à quoi je suis rendue, non ? Bizarrement, je n'ai pas eu besoin d'aller en référé au tribunal, quelqu'un a dû s'émouvoir de l'astreinte que j'étais résolue à demander… un miraculeux tractopelle a fait le boulot alors qu'on me répondait depuis douze jours que les gonzes de l'intercommunalité chargés de ce genre de déconvenue étaient en vacances… tu trouves pas ça miraculeux, un tractopelle qui colle au cul d'un exploit d'huissier ?

Non apparemment il ne trouve pas ça miraculeux, il ne trouve rien d'ailleurs et en profite pour basculer sur le sujet des entretiens de route. Il va sans dire que c'est bien pourrave aussi notre réseau local.

- alors normalement maintenant ça va être la région qui va s'occuper du réseau routier

- hannn génial ! Ils ne savent même pas qu'on existe au château régional qui est à deux cent bornes de notre pauvre petit coin ! De toute façon, on n'a jamais d'interlocuteur quand un problème ordinaire se pose… le maire dit : "vas voir Truc" qui répète à un certain Machin qui dit qu'il faut aller sonner chez Chose qui répond qu'il ne peut pas s'en occuper faut voir avec le département qui lui, surveille le sanglier qu'il a sur le feu ! Mais vous allez le comprendre qu'il y en a marre, gravement marre ?

Comme si rien n'avait été dit et ça ne me surprends pas je suis habituée à l'autisme politicard, la propagande redémarre

- pour la route entre Trifouillis et Lezoies qui est défoncée et pas assez large, on va faire des travaux en 2015, 2016 et 2017

Il serait un peu temps oui, quinze ans au moins que ça aurait dû être accompli et c'est la seule nouvelle un peu positive à laquelle le chef condescend ; pourquoi trois tranches de travaux en trois ans pour la réfection d'à peine treize kilomètres, mystère…

Un collègue évoque le coût exorbitant d'une crèche pour vingt cinq gosses en construction au chef-lieu de canton : un million trois cent mille euros② pour trois cent mètre carrés d'implantation soit quatre mille cinq cent euros le mètre carré ou encore cinquante deux mille euros par tête de gosse

- ah oui j'ai vu ça, j'espère qu'à ce prix-là les merdeux vont avoir des robinets en or aux chiottes et des tableaux de maître à la cantoche ! T'en fais pas Frédéric, c'est pas perdu pour tout le monde les rétro-commissions, il n'y a pas que les célèbres lycées d'Ile-de-France pour glaner quelque dîme…

J'y vais un poil fort, de l'allusion certes mais ça peut aussi être compris comme affirmation alors que je n'ai que de très forts soupçons. Une affaire ancienne qui me concerne directement et dont j'avais reniflé les traficouillages quasi évidents m'avait amenée à demander audience au chef (qui n'était que demi-chef à l'époque) pour lui demander des éclaircissements ; il avait considéré effectivement qu'il semblait y avoir un os dans le potage③, m'avait promis de se renseigner et de me recontacter. Sept ans après j'attends encore. Que puis-je tirer comme conclusion de cette absence de réponse à part que j'ai découvert un truc pas obligatoirement réglo ? Voici pourquoi le "je n'ai qu'une parole" inaugural me fit pouffer ! 

Enfin, le maire a un gros soucis à présenter :

- dans le cadre de la dématérialisation des actes officiels, il faut qu'on s'équipe en nouvelle informatique, signature électronique, etc. et ça va nous coûter plus de trois mille euros alors qu'on ne transmettra que trente ou trente cinq actes par an, c'est exorbitant ces frais pour une toute petite commune

- et voilà !… Encore une fois personne ne nous a demandé notre avis, une directive tombe et faut exécuter, z'auriez pas pu nous consulter on aurait proposé un regroupement de communes ou un poste unique au chef-lieu… vous décidez et nous on trinque comme d'hab. que je rétorque dans la foulée avant l'éventuelle réponse qui ne viendra pas

Il me regarde le chef… air fatigué genre : qu'est-ce qu'il ne faut pas subir pour choper la queue du mickey.

Un petit tour et puis s'en va… Qu'en reste t-il ? Rien, nada, nib. Pas le moindre commencement de réflexion sur l'aménagement du territoire, l'installation des jeunes, le développement rural, le récurant qualificatif de zone blanche dont notre territoire est affublé faute d'investissement, le glissement lent mais sûr vers le désert médical, la dépossession de toute décision pour nos conseils municipaux qui ne peuvent plus rien faire d'autre qu'obéir aux imbéciles injonctions, etc. Bref nous crevons. A la page 'repères historiques' du site internet du conseil général il est écrit : "Depuis les lois de décentralisation, le Département intervient dans presque tous les domaines de la vie quotidienne." Téléphonie et connexion, santé ou état des routes entre autres ne sont pas des domaines de la vie quotidienne CQFD.

Et le chef qui veut être réélu ?… Ben ça alors !

Tout le monde est debout et se dirige vers la sortie soulagé de ne plus m'avoir devant le pif, je conclue à l'adresse du chef :

- le jour où ça va s'énerver vraiment, il y aura de nouveau des têtes qui vont tomber, d'autres au bout des piques… faudra pas vous étonner hein. Je ne participerai pas, je n'irai pas tricoter au pied de l'échafaud, je ne pleurerai pas non plus

Réaction du chef ? Sourire en coin type : cause toujours tu m'intéresses…

Cette dernière saillie n'était vraiment pas pour faire la mariole, je crains que des temps difficiles nous tombent sur le coin de la gueule et qu'il y ait plus de victimes que les seuls coupables.

Pour le reste, je me suis seulement défoulée bien consciente qu'il ne sortira rien de positif de cette séance.

Depuis la révolution de 1830 le département est administré par la gauche ; des gens intelligents et efficaces sans conteste puisque nous sommes l'avant-dernier plus pauvre département de France … ouf on a failli être le dernier, un vrai coup de bol. Ce n'est pas faute de lever l'impôt, nos contributions ont augmenté de quarante-pour-cent en dix ans. Où est passée la cassette, je l'ignore. Je sais que depuis dix ans : la Poste cantonale n'est plus ouverte que quelques heures le matin cinq jours de la semaine quand le préposé n'est pas envoyé ailleurs en remplacement, que j'ai dû investir dans une coûteuse installation satellitaire pour être servie en internet faute de quoi je ne pouvais pas travailler, que la téléphonie et les routes… déjà raconté. Un joli petit coin de pays ignoré de tous sauf au temps du paiement des taxes et de la visite préélectorale. Inutile de rêver à un changement de majorité locale, ceux d'en face sont identiques à part leur couleur d'étiquette.

Aller voter ? Foutaise !

Il serait tellement plus judicieux de prendre nos avenirs en main, de se passer de chef.

① quatre jours après cette réunion, nous sommes informés par Radio-Paris France-Inter que l'aéroport de Toulouse, berceau historique de l'aéronautique, est vendu beaucoup aux chinois et un peu aux canadiens… donc comme ça on ne privatise plus ? Le pompon, c'est qu'il est rentable cet aéroport… et hop encore une privatisation des profits pour mieux mutualiser les pertes plus tard, chapeau bas messieurs les fossoyeurs !

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③ L'indice de la corruption mondiale édité par Transparency International place la France vingt-sixième sur cent soixante quatorze pays en 2014, pour mémoire c'était vingt-deuxième sur cent soixante dix sept en 2013… misère…