Vraie faribole déjà contée le 23 février dernier sur le forum photo que je fréquente :


Décor : un magasin d'optique-photo

Epoque : siècle dernier

Acteurs par ordre d'apparition : un client, mézigue, la patronne

Didascalies : imaginez !


Un monsieur entre :

- Bijour mim'oiselle   

- Bonjour Monsieur

- Si vo plé, ji vo un roleau pour appareil

Ouille que je me dis dans mon for intérieur qu'est pas si fort que ça dans le cas précis.

Le type me plante sur le comptoir ce que l'on appelait une boîte à savon. Du ruscoff de la belle époque, celle de l'inondation du marché avec des trucs plus ou moins mauvais en moyen format économique, "620 petit trou" ou "120 gros trou" pour les péloches. Du solide mais pas forcément simple à charger.

- Mais bien sûr Monsieur, avec plaisir

Je tire sur le bidule qui ouvre le machin, bingo ! J'ai du bol, c'est un facile un peu comme un 24 X 36 mais faut des doigts de fée sinon ça coince.

Aller hop…

- Je vous mets une « noir et blanc 12 poses » ça va ? C'est le moins cher pour commencer….

"Voui, ça mi va" dit-il tout content et de se lancer dans une explication alambiquée sur l'arrivée de l’appareil dans ses pognes. Peu me chaut qu'il l'ait acquis au cousin de Tataouine (en vrai, je ne me souviens plus) mais c'est touchant son insistance à bien me faire comprendre qu'il n'est pas volé mais acheté d'occase cet appareil. "L'arabe" sur la Côte d'Usure, il est forcément voleur, fainéant, branleur, profiteur et j'en passe alors le gars, il essaie de bien montrer qu'il n'est pas comme tout le monde dit. Touchant. J'ai la gerbe d'être française dans ces cas-là.....

- Ti m'espliques mim'oiselle comment li marche ?

Merd…..credi ! C'est reparti mon kiki, combien de fois je me suis creusée la tronche pour expliquer simplement, me faire comprendre et rester aimable, commerce oblige ?

Et ben... allons-y dans la joie et la bonne humeur.... Je lui montre les boutons à tripoter, il n'a pas l'air de tout capter et pourtant…. fastoche….. enfin, bon…..

- Si vous voulez on va dehors, je prends une photo de vous pour bien vous montrer

- Voui, voui, mirci mim'oiselle !

Nous voici sur le parking du magasin. Monsieur mon client se plante fièrement devant sa zoulie Pigeot et l'affaire est faite.

Je lui demande de m'imiter, ça baigne. Il regarde où il faut, il tripote le bouton qui va bien, c'est dans la poche , ouf….

- Combien ji ti dois ? Y la photo, on fait comment pour li voir ?

Cette anodine question aurait dû m'inquiéter !

- Vous me rapportez l'appareil quand vous avez fini le rouleau, je vous l'enlève, en mets un neuf et vous développe l'ancien, ça vous va ?

- Vouivouivoui, mirci bocup, j'y riviens simaine après…….. 'voir mim'oiselle.

Semaine suivante, manœuvre prévue. Changement de bobine.

- Revenez demain, j'aurais fais les tirages

La péloche dans la boîte en spirale, le produit, tu secoues, tu rinces, tu sèches et zou ……….. Zou ?....... Zouzou ???  Rien de rien ! Sauf la première que j'ai prise et la deuxième qu'il a prise sous mon contrôle et encore… ça semble un peu voilé tout ça !  Comment savoir ce qu'a traficoté le gars ?

Quand il revient et constate les dégâts, il fait peine à voir. Il faut consoler, dire que ça arrive et que ça va aller mieux le prochain coup, patati, patata. Il est tellement penaud que je compatis ; on recommence à zéro et je lui offre la péloche neuve. La vieille grincheuse de patronne va gueuler…..nanère…. et toc.......petite revanche.

Une nouvelle semaine passe. Rebelotte, tout cramé, zutre et cote de bique. Mais qu'est-ce qu'il fout cet artiste du minimalisme inexistant ?

Finalement c'est la patronne qu'aura la bonne idée !

 - Bon…. Ecoutez….. votre appareil fonctionne bien puisque deux photos faites avec nous (comment ça "nous" ? Passons….) sont réussies, voyons voir….. Vous voulez bien me prendre ? Comme ça je vois comment vous faites.

A part moi et susurré très bas, je me dis qu'avec elle devant la boîte quoiqu'il arrive la tof est ratée, hahaha….. Humhum…. Reprenons.

Le monsieur mon client vise soigneusement après avoir doctement vérifié s'il faut soleil ou soleil voilé comme qualité d'expo. Tout va bien. Il déclenche et avec une rapidité confondante ouvre le dos

- Mais qu'est-ce que vous faites ? qu'est-ce que vous faites ???? Faut pas faire ça !!! Ça fait rentrer la lum…..

Sa tronche déconfite face à mon agression me fait baisser les bras, je répète plus tranquillement ma question.

- Ji vo voir li djinn !

- Li qu…..euh…. le quoi ?

- Li djinn…… li djinn qué fé li photo !

Oh purée, sainte patience et compagnie, venez à mon secours !

- Mais monsieur on ne peut pas les voir les djinns, si vous ouvrez ils se cachent et ils font rater la photo !

Ouf deuxième……

Cet éclair de génie (oui, tous les génies étaient au rendez-vous, héhé) m'a valu une reconnaissance éternelle de la part du client qui, avec une régularité d'horloge comtoise, venait échanger son rouleau impressionné contre un vierge. Toutes ses photos étaient réussies si l'on excepte les têtes des dames un peu raccourcies parce que ce sont les enfants qu'il fallait immortaliser. Il est même passé à la couleur. Compliqué de lui faire comprendre que c'était une affaire de djinn de luxe la couleur et que je ne pouvais pas développer moi-même.

C'est ma plus jolie histoire de photo, je m'en souviens comme d'hier. En fouillant dans du bachas, je suis tombée sur moi à l'époque de cette affaire de djinns facétieux. Avec mon sérieux habituel, j'étais censée poser pour un autre client qui voulait apprendre à développer donc il craquait 12 poses vite fait avant qu'on passe au labo……. Misère de galère…..Quel métier......... J'ai fui !

Un scann. de tirage papier, je me souviens du client pas de son boîtier à moins qu'on ne lui ait prêté le Canon maison.

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20 octobre 2011