Coutumière des actions urgentes d'Amnesty International que j'ai déjà évoquées par ICI, je reçois de la correspondante locale un courriel qui m'invite à écrire aux députés et sénateurs de mon coin de planète histoire de leur réveiller un tantinet la comprenette sur l'inique accord entre l'Europe et la Turquie pour marchandiser l'accueil des réfugiés qui affluent. Et qu'on nous joue de la berceuse côté gouvernement : "mais non braves gens ne vous inquiétez de rien et dormez en paix, les êtres humains qui n'ont pas d'autre choix que de fuir les horreurs qui leur tombent dessus seront bien traités et ne seront jamais au grand jamais renvoyés dans l'enfer de leur patrie"
Comme on peut le lire dans le communiqué posté en appui de mon courriel bien évidemment !!!
- mon courriel :
Le 23/03/2016 18:45, Isatis a écrit : objet : Peut-être…
…pourriez-vous vous bouger pour une fois ; Amnesty dont je relaie certaines actions me propose de vous envoyer le courrier ci dessous ; malgré que je n'ai plus aucune illusion ni aucun espoir face à cette Europe qui marchande les vies humaines, face à ma France qui adule les sabreurs wahabites à coup de rosette en laissant des malheureux fuyant les bombes patauger dans la boue, se geler, tomber malades en aspirant à sauver le seul bien qui leur reste, la vie.
la lettre d'Amnesty international :
"Bonjour,
Nous venons de révéler au public une nouvelle terrifiante : quelques heures à peine après la conclusion de l'accord entre l'UE et la Turquie, ce pays renvoyait 29 Afghans à Kaboul malgré les risques pour leur vie. La preuve que la Turquie n'est pas "sûre" pour les réfugiés contrairement à ce que les dirigeants européens assurent.
Nous le savions. Nous l'avons répété pendant plus d'une semaine pour tenter d'empêcher la signature de l'accord entre l'UE et la Turquie sur les réfugiés. Ce pays n'est pas 'sûr' pour les demandeurs d'asile et les réfugiés. Cette nouvelle effrayante le confirme tristement. Nous devons agir.
Il y a une interpellation la semaine prochaine à l'Assemblée Nationale sur les réfugiés. En amont, nous souhaitons interpeller les députés et les sénateurs par rapport aux violations du droit international des réfugiés par la Turquie. "
Bonne réception peut-être,
Isatis (bien évidemment j'ai signé de mon nom d'état civil)
Stupeur ! je reçois une réponse de la collaboratrice parlementaire de la sénatrice ! Où il apparait que les femmes lisent leur courriels et y répondent contrairement aux deux mâles interpellés à l'identique : un député et un sénateur muets comme carpe en sieste.
- la réponse de la sénatrice :
De : Madame la sénatrice
Date : 25 mars 2016 19:15:34 HNEC
À : Isatis
Objet : Rép : Peut-être…
Madame,
Vous avez souhaité alerter la sénatrice sur le sort réservé aux réfugiés afghans renvoyés en Turquie en application de l'accord signé avec l'Union européenne le 18 mars dernier.
Sensible à votre interpellation, et malgré vos propos introductifs désagréables et injustes (http://www.senat.fr/basile/visio.…voir……) la Sénatrice a immédiatement décidé de saisir le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Vous trouverez ci-après le texte de la question écrite qu'elle a souhaité lui adresser. Elle sera publiée au Journal officiel le 31 mars prochain.
Nous ne manquerons pas de vous tenir informée des retours qui pourront lui être adressés.
Cordialement,
Collaboratrice parlementaire de Madame la sénatrice
pj : Question XXXXX adressée à M. le secrétaire d'État, auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes
À publier le : 31/03/2016
Texte de la question : Mme la sénatrice interroge M. le secrétaire d'État, auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes, sur le sort réservé aux réfugiés afghans renvoyés en Turquie en application de l'accord signé le 18 mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie. Amnesty international a récemment mis en évidence que de nombreux réfugiés demandeurs d'asile renvoyés en Turquie en application de cet accord avaient par la suite été détenus dans un centre de renvoi puis renvoyés à Kaboul après avoir signé de force l'acceptation d'un retour volontaire, sans jamais avoir pu accéder à un avocat ni demander l'asile. Elle lui demande par conséquent si la France entend rapidement mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour que les réfugiés renvoyés en Turquie en application de l'accord du 18 mars 2016 puissent bénéficier de garanties en termes de sécurité, de bons traitements et surtout d'accès aux droits les plus élémentaires.
La question a été éditée au Journal Officiel, j'ai vérifié, avec pour signature : "en attente de la réponse ministérielle." Et voilà… on attend…
Je suis désagréable parce que je demande des comptes sur des décisions dégueulasses contraires en tout point à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme juridiquement contraignante et dont mon pays est signataire ?
N'est-ce pas désagréable que de constater que l'Europe traite avec la Turquie et lui file du pognon "pour gérer le flux" alors que son président foule au pied tous les jours la liberté d'expression, de culte, le droit de vivre aux kurdes, emprisonne tout ce qui ressemble de près ou de loin à un journaliste, tabasse et enchriste les jeunes en rébellion ? N'est-ce pas désagréable de voir mon pays laisser sur le carreau trente mille personnes sans domicile, dix millions de très mal logées, des milliers de déplacés fuyants la mort patauger dans le froid sans le minimum vital en instance de renvoi on ne sait où pourvu qu'ils disparaissent à l'orée de la campagne électorale prochaine ? N'est pas désagréable qu'en mon nom le petit président envoie des missiles à 850 000 € le bout sur la gueule d'on ne sait qui, lui qui a décidé tout seul comme un grand que mon pays est en guerre ?
N'est-ce pas désagréable d'apprendre chaque semaine dans un Canard bien informé, les collusions, conflits d'intérêts et autres concussions, tripotages et forfaitures des politiques professionnels ? Ces politiques-ci qui se lamentent à longueur de temps qu'il faut que le quidam de base se serre la ceinture, y a plus de sous dans les caisses… sauf au Panama mais c'est une autre histoire qu'est pas à la portée du quidam. Toutes ces contributions perdues qui, ajoutées l'une à l'autre, permettraient au budget de l'état d'avoir une bourse assez rebondie pour faire le boulot qui lui incombe en matière de services publics et fonctions régaliennes.
Injuste je suis envers cette Madame la sénatrice qui s'est penchée sur la question et, suprême audace, a osé poser une question au ministre qui répondra quand il a le temps à Pâques ou à la Trinité ; il devra répondre il y est contraint par la règle parlementaire sans obligation de date mais comme il s'en fout comme de sa première cravate, c'est pas demain qu'il fera pondre par un chargé de communication quelconque un texte aussi évasif que jargonneux.
Et c'est moi qui suis injuste ! Ah ouais… pourtant je suis bien brave, je ne donne pas en pâture le nom de l'intrépide sénatrice, elle est peut-être sincère cette dame. Elle pense agir alors qu'elle ne fait que ronronner dans le giron d'une république bancale dont l'exécutif légifère cependant que le législatif la boucle en votant ce qu'on lui demande de voter sans trop regimber.
8 avril 2016
* citation de Michel Audiard
edit du 21 avril 2017 :"en attente de la réponse ministérielle." Et voilà… on attend… Bingo ! La réponse évasive est tombé le 29 décembre 2016, rapide le ministre !
Que pourrais-je lui souhaiter d'autre ? Pas facile…
Une guitare n'a pas besoin du vent ! Il lui faut un torse accueillant, une cuisse confortable et des doigts habiles, c'est tout.
A l'heure d'avoir le loisir de reprendre la gamme et les tablatures où je les avais laissées il y a des lustres, mes doigts renâclent ! Merde alors !!! Après les lamentations d'usage genre : saloperies de vieilles mains qui ne veulent plus pincer, barrer, grattouiller, qu'en faire de ma guitare ?
Laisser définitivement un instrument joli au fond d'un grenier poussiéreux, c'est quasi un crime. Il faut que ça se fasse entendre une guitare sinon à quoi bon avoir été ouvrée par des artistes de la varlope et du ciseau ; poncée, polie, incrustée, emmanchée et chevillée pour aller traîner dans un coin tristounet ou pire comble de mauvais goût, se faire pendre au-dessus de la cheminée, c'est bien trop affreux comme destinée.
Je l'ai reçue d'un proche ami de famille, arrière-arrière petit cousin* de Gustav Mahler. Bon musicien il avait choisi cet instrument pour lui tenir compagnie lorsqu'il partait solitaire en virée voyageuse ; ils s'entendaient très bien tous les deux mais la vie demande parfois de faire des choix imbéciles, il dut la laisser pour des études supérieures, tellement supérieures que je n'ai jamais bien compris en quoi ça consistait, c'était fort matheux je crois, pouah…
Alors qu'il me racontait ses choix, je lorgnais sa guitare qui somnolait alentour :
- et ta gratte, tu vas pas l'emmener ?
- bah non pense-tu ! je vais avoir six à huit heures de cours par jour plus les préparations de (ici je ne me souviens plus quoi de ces fameuses préparations de) et puis je serai en cité U sûrement dans une chambre minable ouverte à tout larcin, faudrait pas qu'elle tombe dans des sales paluches ma copine !
- ah oui je vois… dis-je en regardant ostensiblement mes jeunes mains valides
il faut croire que mon manège a fonctionné
- et j'y pense… tu voulais pas t'y mettre vraiment à la guitare ? tu m'avais pas dit que ça te plaisait pas les grattes folk de tes potes ?
- si, t'as bonne mémoire
- elle te plaît ? je te la vends ! je préfère la savoir chez toi qu'ailleurs
- ouais j'en rêverai bien mais… mais j'ai pas d'sous comme d'hab.
j'ai probablement si fort et tant soupiré qu'il dut avoir pitié
- bah t'en fais pas, je la fais à pas cher et j'embobine ta mère, elle me filera bien un billet si j'y dis que je suis à sec et qu'en échange je te laisse la guitare
- oh c'est pas vrai ! tu ferais ça ?
- et bien sûr pardi ! arnaquer ta mère c'est le p'tit plaisir en plus, l'harmonique en fin de morceau !
C'est le premier éclat de rire que m'offrit cette guitare. Ma mère fut dûment arnaquée, elle goba le mensonge d'un jeune homme, fils d'une riche et généreuse famille, qu'était soit-disant à sec de pognon alors qu'il fallait rentrer dare-dare à l'autre bout de la France pour entamer des études tueuses de guitare.
Cet instrument m'a accompagné pendant un gros moment dans toutes mes aventures plus ou moins périlleuses pour le bois dont on fait les guitares.
La nuit qu'un ronfleur nous gâchait copieusement le sommeil dans une tente exigüe, un gros croquenot de marche vola vers l'importun copain tapageur mais c'est la table d'harmonie qui prit le coup, elle vibra de colère. Le mal était fait, une fente irréparable sans gros travaux de lutherie. Un pote bien intentionné voulut cacher les dégâts en apposant des auto-collants, quel andouille ! J'ai vite arraché mais trop tard, un peu de vernis se fit la malle.
Nous nous promenâmes, marchâmes, souffrîmes ensemble bien souvent avec mon troupeau de compères toujours la guitare suivait. Des jours sans pain, des semaines dans la magnifique Vallée des Merveilles la bien nommée, des nuits sans feu faute de bois sec… on s'en foutait royalement. Il suffisait de se poser et de jouer, faire chanter les amis, raconter des blagues et s'endormir ; le ventre mal garni, la truffe dans les étoiles on était les princes de royaumes à venir.
La campagne humide et tiède, les causses secs et glacials, les plages d'été encore torrides au soir, la transhumance des moutons dans le petit matin brumeux de ces brumes qui ne veulent jamais désarmer tout-à-fait devant le pâle soleil de printemps… et j'en passe, elle a tout subi la gratte trimballée à l'épaule. Souventes fois, je lui ai laissé ma couvrante pour la protéger des intempéries dans nos campements de fortune mal équipés que nous étions.
Que de souvenirs elle cache dans sa caisse et dont je me souviens comme d'hier : on s'est bien éclatées toutes les deux.
Dans la solitude, c'était pareillement une excellente compagnie. Sa plastique aux formes douces se laissait enlacer et parfois sans même la jouer il suffisait, les mains croisées sur l'éclisse, d'y poser le menton et c'était parti mon kiki pour une rêvasserie hors les affreux tracas du moment.
Les soirs de courage, c'était des heures d'exercices qui avaient le don de mettre les nerfs de l'entourage en pelote.
Les soirs de bourdon, une petite bossa nova histoire de mettre un grain de fête où y en n'avait pas lerche.
Les soirs d'inspiration, jouer une revue de mon faible répertoire, tour de chauffe avant de travailler de nouveaux morceaux ; contrairement à son allure accueillante, c'est difficile à dompter une guitare. Combien de fois l'ai-je posée contrariée et les doigts en compote !
D'un petit progrès à un autre, je me débrouillais conseillée par de vrais musiciens amis.
Les royaumes à venir ne vinrent jamais. Il fallut aller au chagrin pour gagner sa croûte, ça tue les guitares aussi sûrement que des études de maths.
Plus tard un chilien exilé, guitariste classique sans instrument sans travail sans papiers… dans la débine quoi, encore qu'un couple d'amis l'hébergeait, me l'emprunta pour aller faire la manche devant les coquets troquets de Juan-les-Pins. Et oui elle a aussi fait la manche ! Malgré que je lui aie offert une douillette housse neuve pour l'occasion, elle récolta encore quelques menues rayures impossibles à éviter. Elle était jouée avec maestria et ça c'était chouette.
Au seuil d'un nouveau changement de vie, je me suis décidée bravement au divorce appelant à la rescousse un guitariste ami d'amis chargé de me trouver un bon client pour cet instrument en lui spécifiant que je préférais un amoureux impécunieux à un riche oublieux. Pas fière de moi et un peu inquiète mais quoi, il faut choisir entre décision ferme et lamentation stérile.
"Mais bien sûr" qu'il me dit le guitariste : "tu me la passes et je la montre à mon prof. qui dira ce qu'il en pense et combien elle vaut".
Bon. Un fatidique dimanche soir elle quitta ma voiture pour celle d'à côté non sans être passée de mains en mains qui la grattouillèrent à tour de rôle, ça ne m'a pas plu… jalouse pour la première fois de ma vie ? Il serait temps !
C'était quoi ? Le bon jour, le bon moment, l'air du temps ? Je ne sais. Toujours est-il que le professeur de guitare bien décidé à ne pas jouer cette vieille rombière qu'avait un peu trop vécu s'est quand même laissé tenter… allez juste un p'tit coup. Et me l'a achetée.
Il ne pouvait rien arriver de mieux à cette Giannini née en mai 1973 dans le lointain Brésil : épicéa et palissandre, nacre-ébenne pour le kitch, sombre pour le son.
Un matin en ouvrant ma boîte électronique, j'y ai trouvé un courriel intitulé : "mon prof et ta guitare, ça joue ! Clique-là". (vous aussi pouvez cliquer si ça vous chante)
Ils ont pensé à me faire une vidéo de l'impro qui a décidé son nouveau propriétaire, touchante attention.
Un joli miracle, un baume sur ma peine d'avoir à larguer un beau souvenir.
Boa sorte guitarra brasileira** !
18 février 2016
* ou neveu ?… de la famille quoi…
** Bon vent guitare brésilienne
Décor : Mémorial du camp d'internement de Rivesaltes, Pyrénées Orientales. Sur la partie de terrain civil adjacent au camp Joffre
Epoque : au XXIème siècle le 29 octobre 2015
Acteurs : tous les êtres humains qui ont eu le malheur d'être enfermés en ce lieu… excepté quelques salopards en fin de deuxième guerre mondiale
Avertissement : il s'agit d'un témoignage tout simple, pas un précis d'Histoire. Se reporter aux nombreux ouvrages spécialisés pour informations savantes
Terre d'accueil, patrie des Droits de l'Homme et patati et gnagnagna…
La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme a été adoptée par l'ONU le 10 décembre 1948 à Paris. Paris est en France certes mais est-ce bien suffisant pour faire accroire en la patrie des Droits de l'Homme ?
Sur le papier, dans l'histoire officielle ou le bec des orateurs politiques, ça peut faire illusion mais à y regarder de plus près………
Je suis allée visiter le mémorial de Rivesaltes tout frais inauguré par le premier ministre.
Une dizaine d'hectares à végétation rabougrie, des baraquements allant à ruine et la tramontane impétueuse, la chaleur écrasante ou l'aigre froid au fil des saisons. Un décor pour western spaghetti, d'ailleurs Almeria l'espagnole n'est pas si loin. Une partie de ce camp est en zone militaire aussi on n'y accède pas, c'est le camp Joffre ; pour l'autre des volontés têtues ont décidé de créer un Mémorial qui expliquerait toute la misère endurée par les différentes populations entassées là par nos dirigeants désagréablement dérangés par ces "indésirables".
L'entrée du camp côté militaire (ils ne croient quand même pas que je vais obtempérer à leurs pancartes d'interdiction d'entrer les mirlitons !), les éoliennes sont bien postérieures on s'en doute
on accède à la partie civile, lieu de construction du Mémorial, par un parking puis une allée aménagés… Ah une caméra de surveillance ! Ça manquait dans un ancien camp de rétention
c'est tout propre tout neuf les sobres aménagements. Des jeunes gens tout sourire accueillent le visiteur à l'entrée. Ci-dessous derrière les deux silhouettes, le bâtiment du Mémorial : une grande dalle en légère pente qui ne laisse pas deviner l'imposante salle d'exposition permanente et diverses autres salles. L'architecture a été confiée à Rudy Ricciotti, j'apprécie beaucoup la rigueur et le dépouillement dont il a usé sur ce lieux de souffrances si infinies que les jours venteux, on a l'impression d'entendre encore les plaintes des malheureux enfermés pour la plupart sans motif
je connais déjà les lieux que j'ai presque peine à reconnaitre. Les rouleaux de fils barbelés, clôtures écroulées, pieux sortant à moitié de terre et autres périls pour les pattes distraites sont débarrassés. La pauvre rude végétation plus ronce que fleurette est un mauvais souvenir. Seuls restent de tenaces oléastres qui croulent sous les fruits déjà mûrs que personne ne ramasse et quelques juniperus ou térébinthes increvables.
Le Mémorial est construit au milieu des ruines ; je décide de faire le tour du camp avant d'y entrer
les bâtiments construits par les prisonniers sont bien fatigués mais de discrets renforts permettent à certains de rester debout tant bien que mal
les latrines en béton pré-contraint supportent à peine mieux le poids des ans, l'air salin et le vent agressif.
Avant l'aménagement en musée-lieu de mémoire officiel, cet endroit attirait des rois de la bombe de peinture, des descendants des enfermés venus se recueillir et des anarchistes : hep, collègue inconnu je t'assure qu'on n'oublie pas l'histoire, on sait où se situent les ennemis et … on est complètement impuissants.
Ça me fait un sale effet les caméras de surveillance ; dans un ancien camp de rétention ça me fout carrément la chair de poule… pour une goupil c'est la lose une chair de poule ; la surveillance généralisée et la vie "big brother", non merci !
La piste circulaire aménagée me ramène au point de départ vers l'entrée du Mémorial, allons-y. Il faut descendre et s'enfermer, c'est un coup de génie d'avoir enterré l'architecture qui s'efface devant les vestiges des prisons
à l'entrée la sempiternelle plaque d'auto-satisfaction des édiles locaux et nationaux, descendants des responsables de la création de ce camp et de l'enfermement de milliers de gens pour la simple raison qu'ils étaient "indésirables".
Tout est dit dans le résumé ci-dessous, tant de lucidité m'intrigue. Je comprendrai plus loin en visionnant un entretien : c'est Denis Peschanski qui a présidé à l'élaboration du musée.
Ça commence en 1938 sous la présidence du Conseil du petit Edouard Daladier (je sais qu'il était petit car j'ai fini d'user ses chemises dans les années 70 et que je ne suis pas grande mais c'est une autre histoire), pas un gros méchant le gars Edouard : ministre des colonies, de la guerre ou de la défense nationale, signataire des accords de Munich entre autre… tout pour plaire quoi…
"Saperlipopette ça me gâche le p'tit dèj' ces saloperies d'espingoins fuyards" qu'il s'exclame un matin de lever du pied gauche, un comble pour ce genre de type qui louvoie entre socialistes et radicaux, et hop…avec ses potes du Conseil il décide de l'ouverture de camps pour les "indésirables" espagnols républicains qui fuient les troupes franquistes. Ainsi naissent les camps de Rivesaltes, le Vernet dans l'Ariège, Bram dans l'Aude et tant d'autres.
J'ai connu deux hommes qui étaient gosses au moment de la fuite (un des deux est encore vivant et centenaire aujourd'hui… sont solides les républicains), ils ont été cantonnés avec leurs pères sur la plage du Barcarès : la plage tout simplement et sans rien à manger ni pour s'abriter ou un peu d'hygiène ; leurs récits sont déchirants.
J'ai déjà évoqué ce moment de notre Histoire par ci et par là.
Les Pyrénées à traverser, ça n'est pas une promenade de santé. Avec un maigre barda sur le dos, des chaussures éculées, des mauvais pardessus, ils ont cheminé de nuit et se sont épuisés à soutenir les vieux et porter les enfants sur des chemins mal foutus.
Une partie de cette colonne de misère est passée par le port d'Envalira (2 400 mètres d'altitude) bien avant qu'il soit aménagé pour que les skieurs puissent accéder aux pistes ; même en été on s'y gèle dans les courants d'air
Les républicains espagnols ne resteront pas seuls bien longtemps ; Pétain fait enfermer "les forces de l'anti-France" : juifs, francs-maçons et autres "métèques". Les discours xénophobes actuels ne sont pas difficiles à rédiger, il suffit d'aller pomper dans les archives du gouvernement de Vichy qui possédait cet art consommé de faire croire aux braves gens qu'ils avaient une triste vie à cause des "étrangers". Les étrangers furent enfermés, déportés, tués et ça n'allait pas mieux…alors là… pas mieux du tout , c'est le moins qu'on puisse dire… bizarre n'est-ce pas !
Sahara du Midi… je ne connais pas le vrai Sahara hélas mais j'imagine à partir de mes lectures, effectivement il y a des analogies
sur les murs nus, des films et photos d'archives défilent. Toute ressemblance avec les chercheurs de refuge d'aujourd'hui est manifeste
les jours passent. Les guerres se succèdent. On enferme à tours de bras.
Les espagnols sont éparpillés dans les fermes qui manquent de main-d'œuvre ou chez les artisans, tous les gens qui veulent bien d'eux. Les juifs escortés par de bons français pour le dernier voyage ont disparu dans les camps d'extermination. Les salopards de nazis et autres collabos qui ont tâté de la paille humide du cachot ont eu des fortunes diverses. Les harkis placés là en "transit et reclassement" seront envoyés se faire voir ailleurs, éparpillés d'office eux-aussi. Arrive le tour des supplétifs de l'Indochine française et d'Afrique noire, dernière grosse vague d'internés.
Il y aura encore des passages de migrants de diverses nationalités désignés comme illégaux ; de "camp d'internement" l'appellation a glissé en "centre de rétention administrative" jusqu'en 2007.
Ce camp ne fut qu'un parmi des dizaines d'autres ; fermés là ils sont reconstruits ailleurs. Depuis 1948 il me semble que tous violent les articles 3 - 5 - 7 - 9 et 14 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme en toute impunité, des dispositions exceptionnelles sont prises et deviennent norme. La Cimade est invitée à visiter et veiller au respect de la dignité et des droits des retenus, cela seul suffit.
Terre d'accueil ? La mémoire fait douter, la situation actuelle dément.
8 novembre 2015