Décor : Mémorial du camp d'internement de Rivesaltes, Pyrénées Orientales. Sur la partie de terrain civil adjacent au camp Joffre 

Epoque : au XXIème siècle le 29 octobre 2015

Acteurs : tous les êtres humains qui ont eu le malheur d'être enfermés en ce lieu… excepté quelques salopards en fin de deuxième guerre mondiale

Avertissement : il s'agit d'un témoignage tout simple, pas un précis d'Histoire. Se reporter aux nombreux ouvrages spécialisés pour informations savantes


Terre d'accueil, patrie des Droits de l'Homme et patati et gnagnagna…

La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme a été adoptée par l'ONU le 10 décembre 1948 à Paris. Paris est en France certes mais est-ce bien suffisant pour faire accroire en la patrie des Droits de l'Homme ?

Sur le papier, dans l'histoire officielle ou le bec des orateurs politiques, ça peut faire illusion mais à y regarder de plus près………

Je suis allée visiter le mémorial de Rivesaltes tout frais inauguré par le premier ministre.

Une dizaine d'hectares à végétation rabougrie, des baraquements allant à ruine et la tramontane impétueuse, la chaleur écrasante ou l'aigre froid au fil des saisons. Un décor pour western spaghetti, d'ailleurs Almeria l'espagnole n'est pas si loin. Une partie de ce camp est en zone militaire aussi on n'y accède pas, c'est le camp Joffre ; pour l'autre des volontés têtues ont décidé de créer un Mémorial qui expliquerait toute la misère endurée par les différentes populations entassées là par nos dirigeants désagréablement dérangés par ces "indésirables".

L'entrée du camp côté militaire (ils ne croient quand même pas que je vais obtempérer à leurs pancartes d'interdiction d'entrer les mirlitons !), les éoliennes sont bien postérieures on s'en doute

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on accède à la partie civile, lieu de construction du Mémorial, par un parking puis une allée aménagés… Ah une caméra de surveillance ! Ça manquait dans un ancien camp de rétention

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c'est tout propre tout neuf les sobres aménagements. Des jeunes gens tout sourire accueillent le visiteur à l'entrée. Ci-dessous derrière les deux silhouettes, le bâtiment du Mémorial : une grande dalle en légère pente qui ne laisse pas deviner l'imposante salle d'exposition permanente et diverses autres salles. L'architecture a été confiée à Rudy Ricciotti, j'apprécie beaucoup la rigueur et le dépouillement dont il a usé sur ce lieux de souffrances si infinies que les jours venteux, on a l'impression d'entendre encore les plaintes des malheureux enfermés pour la plupart sans motif

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je connais déjà les lieux que j'ai presque peine à reconnaitre. Les  rouleaux de fils barbelés, clôtures écroulées, pieux sortant à moitié de terre et autres périls pour les pattes distraites sont débarrassés. La pauvre rude végétation plus ronce que fleurette est un mauvais souvenir. Seuls restent de tenaces oléastres qui croulent sous les fruits déjà mûrs que personne ne ramasse et quelques juniperus ou térébinthes increvables.

Le Mémorial est construit au milieu des ruines ; je décide de faire le tour du camp avant d'y entrer

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les bâtiments construits par les prisonniers sont bien fatigués mais de discrets renforts permettent à certains de rester debout tant bien que mal

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les latrines en béton pré-contraint supportent à peine mieux le poids des ans, l'air salin et le vent agressif.

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Avant l'aménagement en musée-lieu de mémoire officiel, cet endroit attirait des rois de la bombe de peinture, des descendants des enfermés venus se recueillir et des anarchistes :  hep,  collègue inconnu  je  t'assure qu'on n'oublie pas l'histoire, on sait où se situent les ennemis et … on est complètement impuissants.

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Ça me fait un sale effet les caméras de surveillance ; dans un ancien camp de rétention ça me fout carrément la chair de poule… pour une goupil c'est la lose une chair de poule ;  la surveillance généralisée et la vie "big brother", non merci !

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La piste circulaire aménagée me ramène au point de départ vers l'entrée du Mémorial, allons-y. Il faut descendre et s'enfermer, c'est un coup de génie d'avoir enterré l'architecture qui s'efface devant les vestiges des prisons

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à l'entrée la sempiternelle plaque d'auto-satisfaction des édiles locaux et nationaux, descendants des responsables de la création de ce camp et de l'enfermement de milliers de gens pour la simple raison qu'ils étaient "indésirables".

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Tout est dit dans le résumé ci-dessous, tant de lucidité m'intrigue. Je comprendrai plus loin en visionnant un entretien : c'est Denis Peschanski qui a présidé à l'élaboration du musée.

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Ça commence en 1938  sous la présidence du Conseil du petit Edouard Daladier (je sais qu'il était petit car j'ai fini d'user ses chemises dans les années 70 et que je ne suis pas grande mais c'est une autre histoire), pas un gros méchant le gars Edouard : ministre des colonies, de la guerre ou de la défense nationale, signataire des accords de Munich entre autre… tout pour plaire quoi…

"Saperlipopette ça me gâche le p'tit dèj' ces saloperies d'espingoins fuyards" qu'il s'exclame un matin de lever du pied gauche, un comble pour ce genre de type qui louvoie entre socialistes et radicaux, et hop…avec ses potes du Conseil il décide de l'ouverture de camps pour les "indésirables" espagnols républicains qui fuient les troupes franquistes. Ainsi naissent les camps de Rivesaltes, le Vernet dans l'Ariège, Bram dans l'Aude et tant d'autres.

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J'ai connu deux hommes qui étaient gosses au moment de la fuite (un des deux est encore vivant et centenaire aujourd'hui… sont solides les républicains), ils ont été cantonnés avec leurs pères sur la plage du Barcarès : la plage tout simplement et sans rien à manger ni pour s'abriter ou un peu d'hygiène ; leurs récits sont déchirants.

J'ai déjà évoqué ce moment de notre Histoire par ci  et  par là.

Les Pyrénées à traverser, ça n'est pas une promenade de santé. Avec un maigre barda sur le dos, des chaussures éculées, des mauvais pardessus, ils ont cheminé de nuit et se sont épuisés à soutenir les vieux et porter les enfants sur des chemins mal foutus.

Une partie de cette colonne de misère est passée par le port d'Envalira (2 400 mètres d'altitude) bien avant qu'il soit aménagé pour que les skieurs puissent accéder aux pistes ; même en été on s'y gèle dans les courants d'air

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Les républicains espagnols ne resteront pas seuls bien longtemps ; Pétain fait enfermer "les forces de l'anti-France" : juifs, francs-maçons et autres "métèques". Les discours xénophobes actuels ne sont pas difficiles à rédiger, il suffit d'aller pomper dans les archives du gouvernement de Vichy qui possédait cet art consommé de faire croire aux braves gens qu'ils avaient une triste vie à cause des "étrangers". Les étrangers furent enfermés, déportés, tués et ça n'allait pas mieux…alors là… pas mieux du tout , c'est le moins qu'on puisse dire… bizarre n'est-ce pas !

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Sahara du Midi…  je ne connais pas le vrai Sahara hélas mais j'imagine à partir de mes lectures, effectivement il y a des analogies

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sur les murs nus, des films et photos d'archives défilent. Toute ressemblance avec les chercheurs de refuge d'aujourd'hui est manifeste

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les jours passent. Les guerres se succèdent. On enferme à tours de bras.

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Les espagnols sont éparpillés dans les fermes qui manquent de main-d'œuvre ou chez les artisans, tous les gens qui veulent bien d'eux. Les juifs escortés par de bons français pour le dernier voyage ont disparu dans les camps d'extermination. Les salopards de nazis et autres collabos qui ont tâté de la paille humide du cachot ont eu des fortunes diverses. Les harkis placés là en "transit et reclassement" seront envoyés se faire voir ailleurs, éparpillés d'office eux-aussi. Arrive le tour des supplétifs de l'Indochine française et d'Afrique noire, dernière grosse vague d'internés.

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Il y aura encore des passages de migrants de diverses nationalités désignés comme illégaux ; de "camp d'internement" l'appellation a glissé en "centre de rétention administrative" jusqu'en 2007.

Ce camp ne fut qu'un parmi des dizaines d'autres ; fermés là ils sont reconstruits ailleurs. Depuis 1948 il me semble que tous violent les articles 3 - 5 - 7 - 9 et 14 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme en toute impunité, des dispositions exceptionnelles sont prises et deviennent norme. La Cimade est invitée à visiter et veiller au respect de la dignité et des droits des retenus, cela seul suffit.

Terre d'accueil ? La mémoire fait douter, la situation actuelle dément.

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 8 novembre 2015