Que raconte le CNRTL : "Action de croître, de se développer progressivement." "Action de grandir surtout en hauteur, largeur ou en nombre."  Cela me rappelle les braves gens qui me voyaient en rare occasion et qui me gratifiaient d'un : "comme tu as grandi !" qui m'énervait prodigieusement, évidemment que je grandissais rien que de plus ordinaire pour une enfant !
 
"Action d'augmenter, évolution progressive." Ah ça pour augmenter, ça augmente ! le nombre grouillant d'humains sur notre pauvre vieille terre, le nombre de pauvres et le nombre d'ultra-riches en corolaire, les pollutions diverses et notamment celle des océans qui me poigne plus que d'autres, la surveillance de nos faits et gestes, les armements, j'en passe et des moins pires.
 
Notre petit gouvernement grimpe sur ses ergots en glapissant : "la croissance-la croissance-la croissance" il faut de la croissance pour supprimer le chômage, la pauvreté et la pécole ! Ah qu'il est doux ce mantra stupide ressassé par des économistes distingués parmi les plus imbéciles depuis la première crise pétrolière. Que voulez-vous faire croître vous qui vous gonflez tels la grenouille ? Les parts de marché, les dividendes ? encore un peu plus de gâchis, de pollutions diverses ?
 
Ah mais ne nous y trompons pas, c'est que moi aussi je suis pour la croissance  ! celle des savoirs, de l'instruction, l'éducation, des arts et lettres (comme si les lettres n'étaient pas des arts), de la sieste aussi ; d'ailleurs il s'agit d'une des définitions possibles : "Développement moral, spirituel."   Oui mais ça ne marche pas avec les dividendes, les chiches salaires du travailleur, l'indigence crasse où sont tenus les seuls services dont nous ayons le besoin : instruction, santé, justice, communications.
 
Glapissez donc dans l'indifférence quasi générale tant que vous le pouvez encore. Nous sommes à peine sortis d'un épisode pandémique sur notre petit continent européen que déjà il faut croitre mais pas embellir… or c'est embellir qui me serait agréable…
 

9 juin 2020

édit le 29 décembre 2020 : bah finalement on n'en n'est pas sorti de la pandémie et c'est pas demain la veille on dirait bien… arf…

 

 

 

Puisée au CNRTL la définition de cet animal : "mammifère édenté au corps allongé, à la tête petite, dont la tête, le dos, la face externe des pattes pourvues de fortes griffes et la queue sont recouverts d'écailles cornées, qui se nourrit de fourmis et de termites et vit en Amérique du Sud et en Asie."
Récupéré dans le dico historique d'Alain Rey : "(le mot )est emprunté au malais penggoling, dénomination d'un petit mammifère qui s'enroule fréquemment sur lui-même. Le mot signifie proprement animal qui s'enroule.…"
Je n'ai jamais vu autrement qu'en photo ce petit animal qui a l'air de venir du fond des âges. Placide carapacé et griffu, il semble invincible. Las, l'appétit humain pour sa viande et les imbéciles sorcelleries liées aux supposés pouvoirs de ses écailles menacent sa famille d'extinction malgré les louables efforts de divers pays essayant tant bien que mal de le protéger des braconniers.
 

Medium WW226338 

Pauvre pangolin joli, le monde entier reproche à un de tes cousins martyrisé enfermé sur un étal puant et sale à côté d'un serpent et d'une chauve-souris, d'avoir balancé dans l'air vicié d'un marché chinois un p'tit virus pas plus gros que pas grand chose très fort contagieux… et zou tout le monde malade à l'agonie étouffante de cette grippe chinoise inédite.
Croissons et multiplions, détruisons les lieux de vie des animaux sauvages, sacrifions les à des pratiques stupides charlatanistes et recevons-en la monnaie : une belle épidémie bien grasse. L'Occident a courbé la tête à l'arrivée du Sras n° x, puis c'en fût un autre n°y, avant c'était le Vih, la fièvre aphteuse et je ne sais quoi encore. Le Moyen-Orient s'est fait attaqué par le Mers. L'Afrique lutte contre la fièvre Ebola qui est devenue endémique sans compter le paludisme qui détient fièrement le pompon de la maladie qui provoque le plus de morts au monde.
Nous étions prévenus ; les épidémies passent de plus en plus souvent par les contrées sautant joyeusement de l'une à l'autre. Nous étions prévenus donc et nous sommes affublés de gouvernants. De Girardin* aurait dit ou écrit : "Gouverner, c’est prévoir. Ne rien prévoir, ce n’est pas gouverner, c’est courir à sa perte". Les demandes répétées à l'envi depuis des lustres de matériel et de personnel par les soignants hospitaliers qui ont prévenu en vain. L'OMS a prévenu en vain. Il paraitrait d'après le Canard Enchainé que l'armée aurait elle aussi prévenu en vain. Résumé de leurs craintes :  on court à la cata dans les grandes largeurs si on ne rétablit pas un service de soins efficace rapide mobilisable au plus tôt. Ben voilà… nous courrons à notre perte. Merci qui ? Merci les programmes ultra-libéraux qui ne soignent que les portefeuilles des premiers de cordée.
Le gouvernant où qu'il soit assis a un gros défaut outre être gouvernant, il ment. C'est pathologique il ment. Il doit mentir dans ses vertes années pour se faire admettre d'un sérail, il continue bravement sur sa lancée, écrasant quelques concurrents au passage, à mentir vrai puis arrivé en haut de l'échelle il se lance dans l'exercice du discours électoral mensonger comme de bien entendu.
Pangolin joli, la triste fin de ton cousin n'est pas vaine, le mentir gouvernemental se remarque enfin avec une clarté inaccoutumée. Il nous est intimé de ne pas porter de masque, cela ne sert à rien ; il eut fallu proclamer : on est dans la mouise parce qu'on a liquidé nos moyens de production et que l'industrielle Chine ne peut pas fournir le monde entier. Aujourd'hui peut-être y aura t'il des masques en suffisance, soudain le port du masque menace de devenir obligatoire… ben voyons. Pénurie de tests de dépistage, il suffit d'expliquer que ça ne sert à rien un dépistage et hop… carabistouille un peu trop voyante.
Non, elle n'est pas vaine cette triste fin. Il apparait comme une manière de dégonflement réjouissant de la sacro-sainte loi du marché. Zut alors une horrifique épidémie et le marché ne nous en protège pas, qui l'eut crû !

L'américain va filer des sous aux malheureux, l'espagnol va servir un salaire de base à ses administrés, des assureurs proposent des réductions de coûts, le préfet de police de Paris qui a encore dit une grosse connerie vient présenter penaud ses excuses en grommelant sous une casquette d'opérette bien trop grande pour sa petite tête, la NASA qui photographie notre atmosphère n'est revient pas de la presque pureté des cieux, des picaillons sont promis aux unités de recherche médicale, notre porte-avion est rentré au port sans même être en panne, les vendeurs de pétrole s'arrachent le turban parce qu'on ne consomme que trop peu de cet or noir délétère, les réformes des régimes de retraite, d'assurance chômage et de la Constitution semblent soudain moins impérieuses, il s'est même trouvé quelques volontés qui se sont soudain bougé pour loger des malheureux à la rue… grand coup d'arrêt donc à l'économie mondiale, à la rupture sociale et rien ne s'est écroulé, la terre tourne encore sur son axe, miraculeux non ?

Le citoyen semble prendre le pas sur le consommateur ; il cause à son voisin, aide les plus démunis, s'ingénie à fabriquer avec les moyens du bord des protections qui manquent cruellement aux soignants que d'aucuns applaudissent tous les soirs. Ceux qui n'étaient rien selon le petit président sont au boulot pour nous soigner,  nourrir, ramasser nos poubelles, acheminer nos commandes et courriers, assurer eau et électricité. Miraculeusement des entreprises se transforment à une vitesse consternante pour adapter leurs ateliers à des productions nécessaires, Michelin fabrique des masques !

On dirait bien qu'il flotte dans l'air comme une idée partagée que la croissance économique à l'infini, le PIB et le CAC40 ne font pas société. La start-up nation ultra-libérale, but du petit président, en a pris un coup dans l'aile.
 
Ton cousin, pangolin joli, ne peut pas tout hélas, la médaille à un revers épais. Le gouvernement piétine le parlement et pond de l'ordonnance à tout va, le nouvel état d'urgence risque fort de devenir ordinaire comme ça a été le cas du précédent devenu définitif. Le traçage numérique exceptionnel nous guette sauf que les mesures d'exception finissent toujours par devenir droit commun ; il semblerait que mes congénères préfèrent être dépistés que pistés, tant mieux nonobstant l'autocratie menace. Une mission d'information parlementaire prévoie d'interroger les ministres inopérants qui auront loisir de mentir comme à l'accoutumée faute d'être soumis à une commission d'enquête qui eut été plus stricte dans sa recherche de responsabilités. Un ministre s'est fendu d'un appel aux dons pour financer les soins hospitaliers, pas peur du ridicule celui-là ! alors ministre ? ça sert à quoi les impôts ? Un autre a proposé que chaque citoyen présente des doléances pour le monde d'après grippe chinoise… des doléances ? Noble, clergé et tiers-état iraient prosterner leur pif devant le roi en son château, déposer à ses pieds bénis entre tout les pieds un cahier de doléances avec des "s'il vous plaît no't bon maître " ? Quelqu'un lui a expliqué que la France est un régime républicain à ce ministre oublieux ? Les médecins, professeurs et autres Diafoirus diplômés s'étripent sur les diverses façons d'essayer de soigner cette saloperie, que n'avouent-ils leur impuissance momentanée, que n'unissent-ils leur savoir pour avancer d'un même pas dans la recherche au lieu de se bouffer le nez ! Tout ce qui est culture est balayé : plus de librairies, de bibliothèques, pas de festivals estivaux, cinémas, théâtres… adieu…
Et plus la moindre nouvelle des pays en guerre, des réfugiés, des malheureux enfermés en inique centre de rétention, des douteuses opérations extérieures de nos militaires, des encore plus douteuses ventes d'armes à nos "amis" qui vont derechef taper sur la gueule de leur voisin… un p'tit dessin vaut mieux que mes pauvres mots, merci M'ssieur Gorce ! 
 
xavier gorce le monde

 

Cette terrible peste a éteint le ressentiment international des peuples contres les élites ; pas un pays qui n'ait eu à faire face à des manifestations, revendications, réclamations en 2019. A part la Corée du Nord et peut-être le Bouthan ou la Nouvelle-Zélande, le monde bruissait de révoltes parfois réprimées bien violemment. Notre oberstroumpff de l'intérieur et son préfet à grande casquette ont bien matraqué et mutilé les "qui ne sont rien".  Qu'en sera t'il au sortir de la pandémie sidérante qui va occasionner des pauvretés nouvelles ?
Notre petit président essaie de se refaire la cerise à coup de discours, remercie… que dis-je remercie ? adule les personnels des hôpitaux, les pompiers, les soignants de tout poil ceux-là même sur lesquels il faisait, avec ses sbires, donner violemment la charge policière il y a peu seraient d'un coup de grippe tueuse devenus des héros. Des héros ? Que non pas ! qui a lu qu'Achille ou Ulysse devaient s'affubler de masque, blouse et autres apparaux pour courir sus l'ennemi ? Ils accomplissent leur travail les hospitaliers  en conséquence de quoi il faudrait songer à les équiper et les rémunérer… foin de pommade et de minable prime, des actes !

Tu l'auras deviné pangolin joli, j'ai goût à l'avers de la médaille, le revers ne me dit rien qui vaille.

 

Brent Stirton

© Brent Stirton

 

 * à moins que ce ne soit d'Adolphe Thiers cette maxime, personnage probablement très préféré à De Girardin par le petit président

16 avril 2020

 

 

 

 
Fait d'être retiré ; action d'enfermer, fait d'être enfermé dans des limites étroites selon le CNRTL.
Pour le youpitant dico historique de Monsieur Rey : … il (le mot)est devenu le nom d'action de confiner. Il participe surtout à l'idée d'enfermement d'abord dans le contexte pénal de l'emprisonnement (1579) puis dans celui d'isolement d'un captif (XIXe siècle).
C'est gai. Heureusement que ma bibliothèque est bien garnie pour supporter d'être incarcérée et de devoir fabriquer moi-même mon papelard de droit de sortie hebdomadaire en quête de quelques denrées comestibles, un ausweis dans lequel mes grand-parents auraient reconnu un terrible avatar des véritables années de guerre qu'ils durent supporter. Notre oberschtroumpf ministre de l'intérieur a fait fort. Le pénible discours pétainiste de son patron bêlant "la guerre-la guerre-la guerre" lui aura donné des idées… encore heureux qu'il ne propose pas de faire don de sa personne à la France le petit président !
La guerre ? Contre un élément tout-à-fait naturel tel que ce virus insidieux , mais où va t'il chercher tout ça ? Je lui accorde qu'il est plus facile de discourir que  trouver le moyen de palier en catastrophe à la tragique situation des services sanitaires affreusement démunis. Depuis 2008 les finances des hôpitaux dégringolent, les lits sont rangés faute d'argent et de personnel pour les faire fonctionner. Le service médical des armées bat de l'aile dangereusement qui n'a réussi, en dix jours, qu'à installer trois tentes et trente lits. il y a seulement vingt ans l'OMS érigeait les systèmes de santé français en exemple à suivre, la dégringolade n'en n'est que plus frustrante.
Quel miracle que les personnels soignants n'aient pas déserté, qu'ils acceptent d'être corvéables à merci risquant leur propre vie pour la nôtre.
Quelle incurie ! depuis le temps que les soignants à tout niveau de responsabilité s'alarment, combattent et s'énervent… rien, pas une réaction concrète : discours-bla-bla-discours. Ah si, il s'est passé quelque chose ! la ministre de la santé s'est tiré des flûtes pour aller gagner flamberge au vent l'élection municipale de Paris avec le succès que l'on sait… pitoyable.
L'attitude de nos gouvernants face à cette gripette comme ils le prétendaient il y a peu me fait irrésistiblement penser au propos du film de Patrice Lecomte "Ridicule". Un petit noble responsable et sensé vient à la cour présenter au roi la situation sanitaire de sa région, le roi et sa cour s'amusent, s'en amusent.
Mes chers compatriotes bien moutonniers affreusement touchés par le discours martial, se sont précipités pour dévaliser les commerces  du papier-cul et des boîtes de conserves en se battant si nécessaire pour sauver les chariots pleins, quelle pitié de voir ça. 
Je suis incapable d'exprimer, sans éructer taper du poing vitupérer hurler véhémentement et m'énerver dans les grandes largeurs, l'horreur de voir mon pays dans une telle mouise inculte que je suis ; bien heureusement d'autres ont la science du verbe tels Madame Annie Ernaux ou Monsieur Kamel Daoud :
Lettre de Madame Ernaux
Cergy, le 30 mars 2020

Monsieur le Président,

« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier -L’état compte ses sous, on comptera les morts - résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux, out ce jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays :  les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de livrer des pizzas, de garantir cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle,  la vie matérielle.  

Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps   pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et  « rien ne vaut la vie » -  chanson, encore, d’Alain  Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.

Annie Ernaux

https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-30-mars-202

Chronique de Kamel Daoud :

La nuit tout le jour 
Le retour du silence. Vous l’avez, on l’a tous, redécouvert, de nuit dans nos villes et villages. On a tous goûté à son eau glaciale et sauvage, même quelques secondes, quand on a fini de faire dormir les enfants et qu’on a tout éteint chez soi. Penché à sa propre fenêtre ou debout à l’heure tardive et nocturne, on a tous été surpris par ce vide soudain présent, cette immense immobilité céleste qui fait tourner le ciel et la terre, dans sa meule, mais sans aucun bruit audible. Dans la nuit, l’insonorité est un coup que l’on prend en pleine poitrine si, pour quelques secondes, on arrête de respirer, seul à sa fenêtre ou dans sa cour, chacun dans son coin dans notre monde menacé.
Imprévu, le silence revient avec nos confinements, doucement, s’écoule dans les rues, remonte les boulevards jusqu’aux balcons, ose même « couler » de jour, à la lumière comme une crûe immatérielle. Places publiques vides, boulevard déserts, avenues inhabitées, capitales inutiles. Le silence se montre en chose ancienne et oubliée et qui revient à cause de la rétraction des hommes et des machines, de la prédation de la « croissance » et de la consommation. Peu à peu, on se retrouve à se pencher non sur une rue, sa rue, son quartier, mais sur soi-même et sur ses propres responsabilités. Paradoxalement, le confinement débouche sur l’immensité et pas seulement sur l’enfermement. C’est l’une des plus vastes prisons que nous ayons construites. Peut-être pas pour tous, mais peu à peu, doucement, on s’y enferme. Morts, malades ou inquiets.
Chaque nuit, ce silence devient plus sauvage et plus puissant dans nos villes. Du haut du balcon, les arbres de nuits remuent comme dans une forêt qui va ressusciter après un ancien déboisement, les animaux ont des pas de survivants qui reviennent dans nos cités et sur nos asphaltes, des herbes sauvages vont aussi repousser dans quelques jours, entre nos pierres. Même les étoiles sont plus dures, plus proches, comme lavées, comme dépoussiérées derrière une vitrine claire. Avec l’homme enfin confiné, le reste du monde, les matières brutes, les espèces de la marge, reprennent leurs droits. Elles trainent, encore plus audacieuses, comme des choses blessées et qui titubent dans nos villes désertes. Dans la rue, un courant d’air semble venir de lointaines bordures dont on ne savait rien depuis un ou deux siècles d’industries. C’est un peu les jours précautionneux et audacieux des matières non transformées, des animaux non domestiqués, des silences que les machines et les énergies ont reclus, des immobilités qui nous font nous souvenir. Nous nous initions peu à peu, doucement, à la mort ou à l’humilité. La peur creuse la perspective et les tombes. On se rétracte dans nos villes et la nuit nous donne le reflet de notre abime creusé par nos mains. Des désastres que nous avons commis.
A Venise, les médias montrent une eau claire et impossible dans les canaux dépollués. Les satellites offrent des cartes de la Chine sans pollution. Chaque légume ou fruit est interrogé sur ses origines, ses pourcentages d’engrais ou de pluies, sa parenté avec le soleil ou la chimie. On tente de retrouver la vie saine, sauvage comme on peut. Mais c’est encore loin. Pour l’instant, c’est la mort, les bilans et la redécouverte de la frayeur et de l’impuissance. Manger bio. Mourir par la biologie.
Le confinement est une fulgurante rétraction de l’humanité : calfeutrés dans les grottes modernes des maisons, certains scrutent les étoiles, redécouvrent incrédules la crainte du vide naturellement (on l’a oublié) concomitante aux constellations. Ils redécouvrent les enfants et le temps. Redécouvrent que comme aux premiers temps de l’humanité, on ne sait plus comment il faut enterrer ou prier, qu’on risque la faim ou le chaos, qu’on est revenu à la nuit des temps. Mais de toutes les terreurs immédiates, c’est celle-ci qui nous revient au visage, si ancienne, comme un Dieu mal enterré : la peur de l’invisible tueur. Ce remake de notre duel si immémorial avec l’inconnu.
On peut le nommer, dire que c’est un virus, Covid-19, mais il n’est concret que pour ceux qui l’étudient. Pour les autres ceux qui le vivent, en meurent, le combattent, il s’agit d’un énième invisible de notre longue histoire. Une « abstraction » concrète pour reprendre un personnage de « la Peste » d’Albert Camus. L’invisible, dégradé par les théologies, les croyances, les courtiers ou les intégristes religieux, repoussé, revient mais encore plus sauvage, plus meurtrier. Certains, politiciens ou religieux, artistes ou militants, tenteront de s’en proclamer interprètes, mais inutilement. Le virus nous aligne tous. Aucune métaphysique ne lui fait barrage ou ne peut le recycler pour le moment. Tout se passe dans les laboratoires et nos poitrines. L’occulte ou l’invisible. Pour le vivre, nos corps sont sommés à l’au-delà. D’ailleurs, on a à peine une ou deux bonnes informations sur cette négociation serrée entre l’homme et ce vieux Dieu de l’abstrait.
Ainsi, comme une divinité barbare, le virus nous oblige au rite de l’isolement, aux ablutions chaque minute, au confinement monastique, à la peur ou à la folie, comme ses pairs, les autres Dieux démodés de notre histoire. Mais pour le moment le germe reste sauvage et méconnu. La nuit, le silence qu’elle ramène dans nos villes, l’immobilité, tout cela le précède comme aux temps antiques et nous sommes dans la crainte. Un mystère se restaure sous nos yeux et avec lui les fausses solutions, la précaution, la conversion, le trépas ou le rire moqueur.
Avec le confinement, notre monde devient comme nocturne, même en plein jour. Il nous repousse dans nos maisons alors que nous l’avions victorieusement repoussé vers le ciel. Nous avions pensé avoir vaincu l’inconnu dans nos terres, il revient reprendre ses droits et dissocier les mots des objets, les vivants des vivants, replonger des territoires entiers dans l’indicible.
La nuit, avec le vide urbain et le silence, chacun à sa propre fenêtre en ces heures pénibles, on peut voir ce nouveau tracé des frontières qui se meuvent vers nos pas de portes. Nous vaincrons, comme souvent. Mais il nous faut au moins le faire dans la négociation et l’humilité : si nous voulons que le monde ne nous tue pas, il ne faut plus qu’on tue le monde avec autant de mépris.
« L’inhabité » nous revient au visage car nous sommes coupables d’un monde désormais inhabitable.
Kamel Daoud
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Mon actif désœuvrement carcéral m'a fait découvrir une pépite sur le net : le site du GREC (Groupe de Recherches et d'Essais Cinématographiques) offre en accès libre quelques court-métrages. L'un d'eux est consacré à Albert Cossery dans son grand âge. Malade, aphone, promenant sa silhouette dégingandée de vieil Horus dans Paris et néanmoins si vif et élégant : à voir ICI. Ses propos datent de 2005,  trois ans avant sa disparition. Ils restent absolument pertinents.

J'avais évoqué son livre "Mendiants et orgueilleux" que je lisais en 2012 au moment des élections municipales dans cet article : extrait-1.

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Une pensée pour Jean Cocteau qui croyait, espérait, appelait de ses vœux une Europe unie, fraternelle, solidaire. Serait-il au désespoir  ?  l'enchanteur désenchanté ?  c'est cruel…

Cocteau EU patrie

30 mars 2020