Décor : une vieille lampe à pétrole abandonnée dans la campagne
époque : XXIème siècle; 27 novembre 2011
Acteurs par ordre de dialogue : un jeune et un vieux génie, bons tous les deux
didascalies : y en a pas, débrouillez-vous
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- Bon alors ? On va se décider oui ou non !
- Allons jeune génie un peu de patience encore…
- Patience, patience !!! Mais j’en ai ras l’c
- Surveille ton langage jeune génie ! Tu te dois d’être noble en toutes circonstances et observer rigoureusement nos préceptes !!
- J’t’en foutrais des préceptes moi ! Merde alors ça fait des semaines qu'on zone dans c’te houri* de vieille lampe qui pue et faudrait suivre des préceptes, arf… Mais c’est pas vrai !!! Pourquoi qu'on m’a foutu dans tes babouches de vieux génie râleur d'abord... rofffll… j’en ai ma claque moi... et pis chuis pas la reine d’Angleterre pour faire dans l’protocole ! Chuis un génie d’action moi pas un rond de turban qui compte les jours fériés sur le calendar, pffff…
- Allons, allons, sois raisonnable, reprends-toi et écoute, je sens que le temps de ton instruction finale est enfin venu.
Vieux génie alors semble s’aplatir, se ramollir, se sublimer jusqu’à n’être plus qu’une petite volute qui s’enroule et s’étire à loisir en tournant autour de jeune génie comme ferait la fumée d’un havane, un peu lourde mais véloce et souple.
Aïe-aïe-aïe, qu'est-ce qu’il a encore inventé ce vieux maboul et pis…Et les préceptes alors ! On n’a le droit de s’enfumer que pour sortir de notre lampe, non ? A y est l’est à l’ouest le vieux, on est mal là…… a tout juste le temps de marmonner jeune génie avant de ressentir des sensations inconnues, désagréables, il tente vainement de lutter contre une force têtue qui lui enjoint de s’abandonner -ah la vache ! Zarbi c’truc- et il glisse dans l’inconscience.
Vieux génie sous son apparence de fumée enveloppante raconte :
Il était une fois la grande famille des génies qui, dans les temps anciens, avait rendu moult grands et fort utiles services à une jeune princesse nommée Shahrzād ; elle offrit en retour honneurs et avantages. Ainsi tous les génies de l’Univers sont bons et serviables depuis ce temps, tu le sais n’est-ce pas mon petit Nadir… Oui, Nadir car c’est ton nom désormais. Le mien est Féouk et tu es prié de l’utiliser en lieu et place de « vieux génie » auquel tu ajoutes généreusement « gâteux » habituellement …hummmmm...
Sache Nadir que je fus désigné pour t’entretenir de notre situation si peu brillante et vaine soit-elle, c’est ainsi que tu es « foutu dans mes babouches » comme tu le dis si …… si…élégamment !
Notre famille est dans l’affliction depuis que l’Univers s’est mis en grand courroux contre elle. Nous sommes assignés à résidence et ne pouvons plus faire de bontés, c’est ainsi et nous resterons prisonniers autant qu’il plaira à l’Univers de nous y contraindre.
Nous devons vivre par deux sans nous manifester plus que le strict nécessaire à notre survie. Voici donc la raison de ta présence dans ma lampe qui n’est plus très reluisante certes mais sait-on jamais, un jour peut-être……
Mais qu'est-ce que je radote moi, de l'espoir il n'y en a guère.
Réveille-toi jeune Nadir...
- Ouch… j’ai la tronche comme un loukoum écrabouillé…Aïe…Misère…… Au secours vieux gén…Ah mais ? Qu’est-ce qu'il m’arrive ?
- Je t’ai assoupi pour te donner le reste d’enseignement qui manquait à ta complète éducation de génie et te révéler ton nom ainsi que le mien Nadir
- Ah ouais, a y est… la fumée…L’Univers pas content...Ça me plaît Nadir…Et pis c’est pas vrai que je dis que t’es gâteux d’abord, je le pense seulement !
- Tellement fort Nadir, tellement fort…
- Pourquoi il est pas content l’Univers ? Pourquoi c’est la faute aux génies ? Pourquoi qu’on se rebelle pas ? Pourquoi on peut pas sortir ? Pourquoi
- STOP !!!!! Je ne puis rien te révéler de plus que ce que tu sais Nadir et croîs bien que j’en suis désolé, autant que toi bien sûrement
- Désolé, désolé, suffit pas d’être désolé ! Et ben on n’y peut rien, on est des pauv’victimes du gros paf là-bas et pis voilà, c’est comme ça et passez muscade…M’enfin… Mais c’est trop facile ça ! Je te garantis qu’à la première occase, j’me tire, j’me casse, j’mets les bouts ! J’en peux plus…
Féouk, on ne peut vraiment rien faire ? Même si on est gentil ? On va voir l’Univers, on y dit qu’on n’en peut plus de rester à bader les corneilles au lieu de faire notre boulot, que c’est trop pas juste que c’est nous qu’on trinque et que même on peut l’aider à faire des trucs s’il n’a pas le temps de tout faire …Chais pas moi…La vaisselle ? La vidange des satellites ? Enfin quelque chose quoi ! Mais on se bouge nom d’un sultan !
- Par Omar le Grand ! Ce langage ! Comment peux-tu si mal t’exprimer !
- C’est qui Omar le Grand ?
- C’était un grand poète, mathématicien et médecin aussi. Ah la nostalgie envahit mon âme quand je l’évoque !
- Ouais ben si ma jactance elle te plaît pas, la tienne elle est moisie-vieux jeu, et toc
- Cesse donc avec tes questions sans réponses et tes railleries, nous n’avons pas d’autre choix que de prendre patiente
- Rhooo non ! J’vais m’bouger moi, tu vas voir c’que tu vas voir… Et qu’est-ce qu’il va faire l’aut'là à se prendre pour…Pour…Euh…Le chef, arf…
- Et oui, jeune Nadir, tu viens de comprendre, c’est le Chef
- Arrête de soupirer Féouk, je t’aime bien quoique je te rudoie -t’as vu j’peux causer bien quand j’veux- on va y faire une offre qu’il ne pourra pas refuser
- Une offre à l’Univers ! Mais impossible enfin ! Tu ne doutes de rien toi ....
Il a la bougeotte ce petit, c’est bien normal après tout soupire Féouk qui ne sait comment s’y prendre pour circonscrire la fougue de son jeune élève. Il faudrait que je lui passe un peu de ma sagesse mais comment faire ? Il a du caractère et ne se laissera abuser par aucune entourloupette grommelle t-il encore dans sa barbe.
- Féouk ? Féouk ? Tu dors ?
- Mrrmelemelemel…. Moui… Quoi...
- Féouk, je vais te fâcher je le sais et cela me peine crois-le bien mais c’est décidé ce soir je fais une petite sortie pour voir comment ça fait ; t’as vu j’ai fais gaffe à la jactance !
- Nom d’un grand vizir Nadir, combien de fois faudra t-il que je te le répète ? Tu n’auras pas le temps de faire une volute hors de notre lampe que Sélène te désignera au courroux Universel !
- Mais pourquoi Sélène elle cafte d’abord ?
- Ce sont des affaires qui ne sont pas de ton âge
- Si je suis un génie accompli je dois tout savoir non ? Et si on me refile un élève, faut bien que j’y explique à mon tour ?
- Univers nous préserve d’un malheur pareil ! Psalmodie Féouk dans un éclat de rire
- Bon alors…Raconte, quoi !
- Après tout au point où nous en somme, allons…L’Univers est fâché, mécontent, agacé, irrité à tout propos, il s’ennuie. Dans ses débuts, il a vécu des expériences si fortes qu’il en est bien nostalgique aujourd’hui. Il se morfond et ça le fait grossir, il s'expanse mais plus rien ne l’amuse. De temps en temps pour calmer une fringale il croque une naine bien blanche, grignote des petits quarks croustillants mais le cœur n’y est plus. Dans le temps il inventait des jeux qui parfois se soldaient par des bourdes hilarantes...
Féouk s’interrompt, baisse la tête, soupire…
- Alors quoi ! C’était quoi cette bourde ? C’est pas l’moment de flancher, t’as commencé maintenant…
- Oui, oui, je te prie de m’excuser…les bons souvenirs, tu comprendras plus tard…Hors donc, un jour il invente un jeu de boules pour donner un satellite à quelques planètes, pour faire joli, tu vois. Il s’amusait comme un gamin et envoya par mégarde quatre satellites d'un seul coup à Saturne qui fut fort contrarié qu'on lui gâtât ses beaux anneaux, ça l'a rendu taciturne Saturne. Ah il devait être gai et de bonne compagnie l'Univers en ce temps-là, j’imagine car nous autre génies sommes apparus bien plus tard comme tu le sais.
- Ben ouais. Bon, il est véner le U mais pourquoi qu’il en fait tout un plat et que c’est nous qu’on trinque ? Et pis la lune Sélène pourquoi qu’elle bosse pour lui d’abord ? Et pis pourquoi tu dis que c'est des bons souvenirs alors que t’y étais pas ?
- Que de questions ! La suite à demain, je suis bien fatigué, il faut que je repose quelques heures.
Nadir réfléchit, fulmine, se calme et recommence, trop de questions sans réponses. Tout ce qu’il sait et quel qu’en soit le risque c’est qu’il veut sortir.
Féouk s’étire, tapote son coussin de dos, rajuste son turban.
- Alors ? Ça y est ? T’es reposé ? Hein dis ?
- Oui merci, reprenons veux-tu ?
- Ah que oui alors !!!
- Je suis à la place de mon maître aujourd’hui et je me souviens avec émotion comme je l’écoutais calmement, prenant tout son savoir avec déférence et respect ; c'est cette sensation que je qualifiais de bons souvenirs tantôt
- Yes ! Ben comme moi maintenant !
- Humm… admettons, tu es désarmant Nadir ! L’Univers comme tu t’en doutes est très fier de ses créations et jaloux de son savoir mais si confiant en sa puissance qu’il manque de vigilance. Lorsque les hommes de notre petite planète terre ont réussi à poser le pied sur Sélène, il est entré dans une fureur indescriptible. Il s’était laissé approcher par les petits humains et en a reporté la faute sur cette pauvre lune ; pour punition il l’a contrainte à assurer une permanente surveillance de notre famille.
- M’enfin, pourquoi nous ? C’est pas nous qu’on va sur la lune quand même !
- Et bien, nous ne savons pas Nadir, c’est un mystère que nous n’avons pas pu élucider. Il faut parfois accepter de ne pas tout savoir…
- Merde alors ! Le U, il nous punit on sait pas pourquoi et même que c’est pas nous qu’on fout l’boxon … Mais c’est injuste !
- Oui, c’est injuste, il a choisi une petite communauté sans défense pour purger sa hargne. Au point où j’en suis des révélations que je n’aurais jamais dû te faire, je peux aussi t’assurer qu’il doit aujourd’hui même être dans un plus grand courroux encore !
- Arghh… Ben c’est pas gagné ma sortie…
- Moi vivant, tu ne sortiras pas ! C’est un ordre !!
- Je sortiras pas gnagnagna…. On verra c’qu’on verra
- Si tu persistes, je cesse mon récit
- Oh non pleurniche comiquement Nadir..... A y est je m’tais
- Récemment il s’est passé quelque chose d’extraordinaire, des hommes ont construit une grosse machine pour essayer de coincer des neutrinos
- Ah ça ! Les comiques, ouarfff… jamais y z’y arrivent les bouffons !
- Détrompe-toi, ils ont réussi ! Imagine un peu qu’ils arrivent à reconstituer le big-bang de notre Univers en lui piquant un de ses petits neutrinos chéris, restes de son enfance.
- Ses bons souvenirs ?
- Oui si tu veux !
- Ben ça alors ! Whaaaa ! Ça va chier des bulles ! Mais pourquoi qu'il fait chef l'Univers ?
- Vaste question ! Parce qu'il est le premier à avoir comblé le grand vide sidéral, parce qu'il n'est pas contesté peut-être aussi.... Je ne sais pas comme je ne sais pas non plus d'où tu as pu tirer ce vocabulaire... Et puis tu me fatigues avec toutes ces interrogations !
Féouk somnole ou rêvasse, yeux mi-clos dodelinant un peu. Nadir pense que ça va être terrible pour ce bon vieux génie d’être abandonné par son élève. Peut-être bien qu’il existe des sanctions pour maître-génie oublieux ? Il se dit aussi qu’il est impossible de rester planté là dans cette lampe exiguë sans pouvoir frotter sa belle jeunesse à l’extérieur si proche et si tentant.
Et si un humain au moins avait gardé assez de candeur pour nous astiquer le logement pense t-il il n’y aurait plus de soucis, on serait bien obligés de sortir, héhé… oui mais non …ça c’est cuit, la candeur des humains. Tant pis, faut que je me décide se dit-il.
- Nadir ! Que fais-tu ?
- Euh……ben….je m’enfume et je sors…T’en fais pas, je vais me dégourdir un peu la babouche et je rentre à la cagna
- Pas question ! Ah cette jeunesse… je… je vais venir avec toi
- Yes ! yes ! yes ! yepiiiiiii !
- Calme toi, arrête de fôlatrer tu me donne le virou-virou ! Tais-toi, ne bouge plus et écoute : nous allons sortir d’accord, tu m’y contrains mais nous allons prendre une apparence terrestre pour tenter de confondre la vigilance de Sélène
- Whaaa ! Bonne idée, je l’savais que t’étais un cador…… on va se faire humains ordinaires ?
- Ah non ! Quand même pas ! Quel gamin tu fais, halala…
Et Féouk d’éclater de rire bien franchement comme si tout le sérieux du précepteur, la sagesse et le savoir du vieux s’étaient envolés.
Nadir n’en revient pas, son maître est transfiguré par l’hilarité. Un bon signe pour la suite de nos aventures espère t-il.
Féouk se sent rajeunir à l’idée de commettre une grosse bêtise, c’est tout guilleret qu’il explique à Nadir leur tactique. S’apparenter à deux eucalyptus et se déplacer le plus lentement possible et attention, c’est pour faire un petit tour pas plus.
Nadir acquiesce à tout trop content d’avoir réussi à persuader son vieux maître.
Ah que c’est agréable ce soir d'été soupire d’aise Féouk cependant que Nadir réprime à grand peine des envies de gambades et pirouettes.
C’était sans compter l’œil perçant de Sélène !
- Vite Nadir, fonds-toi le plus possible dans le paysage, nous sommes trop loin de notre lampe pour reculer, nous allons nous protéger dans un recoin et attendre le jour !
Il s’en veut Féouk d’avoir suivi son turbulent élève mais quoi ? Ce diable à quatre de Nadir serait parti seul de toute façon.
- Dis Féouk
- Oui
- Elle va nous transformer en loup-garou ?
- Mais non, hahaha.....
- Ah bon, ouf. On va rester dans ce coin de bûcher longtemps ?
- Tu en as déjà assez vu ?
- Oh que non ! Ça risque pas mais je m’emm…. nuie
- Cette sortie fait du bien à ta qualité d’expression, c’est déjà ça de pris sourit Féouk en se rencognant dans sa cape de feuilles odorantes.
- Dis Féouk
- Oui Nadir
- Et si on partait pour de bon ?
- N’y songe pas un instant !
- Mais j’ai un plan d’enfer que l’aut’ cyclope, elle y verra que pouic et que quand on aura réussi l'Univers l’aura plus qu’à se planquer dans un trou noir pour pleurnicher son sort, bien fait pour sa gueule en quasar !
- Ça n’aura pas duré soupire Féouk
- Quoi ?
- Ton langage châtié
- Ouais bon, tu le veux pas mon plan d’enfer… et contre tous rigole franchement Nadir au risque d’attirer l’attention sur leur ratacoin de planque
- Non
- Mais si quoi ! J’te l’dis, c’est top et pis on rejoint le reste du troupeau, on s’assemble, on délibère et on attaque nom d’un p’tit zénith
- Troupeau ? Assemblée ? Attaquer ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?
- Ben voilà, on se fait une tire d’humain, on fait le tour des lampes pour retrouver les potes génies, on les secoue, on fait une AG et hop ! Grosse manif, respect des droits du génie à exhausser les bons vœux, HLM, enfumage à volonté et tout et tout !
- Tire ? HLM ?
Héhé pense encore trop fort Nadir, ça y est je l’ai ferré avec mon plan !
- Non ! Tu n’as rien ferré du tout même si je reconnais que revoir la communauté me comblerait d’aise mais…… Alors ? C’est quoi HLM comme revendication ? Et une.... comment tu dis... tire ?
- Haute Lampe Moderne Môôôssieur ! J’en ai marre de crécher dans un vieux machin qui pue ! Et pis une tire c'est une bagnole, une caisse quoi !
Féouk soupire en levant les yeux au ciel tant il est déconcerté par son jeune compagnon
- Oh ! Regarde Nadir, c’est une chance de voir ça !
- Quoi ??? Une deuxième lune Féouk ? Jamais entendu parler !
- Non, pas une deuxième lune, c’est l'Univers qui a pris cette apparence pour venir questionner Sélène
- Arghhh…. Et on est mal…. Ou pas ?
- Pour l’instant, nous sommes à l’abri mais avec tes idées révolutionnaires, je ne sais pas d’autant qu’Univers a encore perdu son Boson de Higgs alors...
- Quoi ? Son porte-bonheur ? Ouch, là c’est clair qu’il doit être grave chaud-véner le gonze ! Dis Féouk, comment tu sais tout qu’est-ce qu’il lui arrive à U ; qui c’est qui t’as dit pour le neutrino et le Boson ?
- Mais personne enfin ! C’est mon pouvoir tout simplement. Le tien est trop jeune encore pour percevoir toutes les informations
- Ouais d’acc. mais moi je sais comment c’est les tires d’humain et comment qu’on en fait apparaître une, tralalère…. Ça c’est pas un truc de vieux turban, c’est du pur jus d'jeunot qu'en a rien à cirer des antiquités, héhé...
- Tu voudrais donc voler un véhicule et le conduire ?
- Mais non, pas le voler, le faire apparaître, j’invente quoi ! Et puis suffit d’un peu de concentre pour le faire avancer le machin. C’est pas aussi bath qu’un tapis mais t’avoueras qu’c’est plus discret
- Ah ? Je dois reconnaître que c’est tentant et nous avons déjà enfreint la première loi alors...
- Alors, on y va ? C’est ça ? T’es d’acc. ? Aller quoi dis-moi !
- Oui je suis d’accord, nous sommes relégués, que peut-il nous arriver de plus après tout ! Maintenant montre donc ce que tu sais faire...
Nadir ne se sent plus de joie. Ses tentatives de concentration sont vaines tant il est fébrile, il se trompe de formule et commence l'apparition d'une brouette à fumier. Vite il ferme les yeux pour effacer et recommence. Maintenant se dessine dans le noir de la nuit une manière de fusée. Viiiiiite fermer les yeux ! Il ne sait pas faire avancer une fusée et l’idée de retrouver Univers en grande conversation avec Sélène dans le ciel ne l’inspire pas du tout. Il brouillonne et s’énerve.
- Nadir ?
- Ouais bon ça va ! C’est ma première fois hein ! Faut quand même pas pousser, merde alors j’ai pas encore pris le coup d'mains !
- Bien, bien mais... tes mains puisque tu les évoques
- Arghhh ! J’avais oublié…. les croiser pour une disparition, les ouvrir pour une apparition, c’est bien ça ?
- Oui mon grand, aller…
Nadir s’en veut d’avoir oublié la base même de l’exercice ; si je continue comme ça, je me couvre de honte, on se fait pesquer par U, on est dans la caca pour de bon ! Et pis c’est moi qui ai entraîné mon vieux maître dans ces péripéties, houri*… faut que’j’nous sorte de là ! Et pis j’ai les flubes… nom de nom, faut que j’y arrive se dit-il tout en prenant enfin conscience des difficultés à surmonter.
L'ampleur de l'enjeu lui redonne des forces et calme son esprit bouillonnant ; il écarte les mains doucement, se concentre et enfin commence à apparaître un véhicule.
- Mais Nadir ! Qu'est-ce que c'est que ça ?
- Ben c'est une bagnole, bon là y a que les chromes mais ça va venir, t'en fais pas
- Oh mais, je ne m'en fais pas comme tu le dit si bien ! Simplement je m'étonne que tu aies tout transformé en noir et blanc. Pour passer inaperçu, c'est un peu délicat, hum....
- Houri* de merde !!! Hurle Nadir en s'arrachant le turban… Mais qu'est-ce que j'ai foutu, qu'est-ce que j'ai oublié, qu'est-ce que... boaf, j'ai tout raté, tout foiré, j'avais des grandes ambitions, un plan tip top et je fous tout en l'air pour deux conneries de formules, arf... Féouk, j'suis désolé finit-il par hoqueter les yeux en larmes
- Et bien c'est fait maintenant, nous devons en prendre notre parti et nous sortir du mieux possible avec ce que tu as créé. Vois-tu sans toi jamais je ne serais sorti de ma lampe, jamais je n'aurais tenté de retrouver notre famille, jamais je ne me serais senti si léger et heureux, ça vaut toutes les couleurs du monde ça, non ?
- Oui, oui renifle Nadir sans la moindre conviction submergé par la honte
- Allons Nadir, ta.... comment dis-tu ? Tire ? C'est ça ? Il me semble qu'elle est complète, il serait temps de me faire profiter de tes talents de pilote sourit Féouk en enlaçant amicalement son élève aux épaules
En route jeune génie ! A l'aventure ! Allons voir ce que l'avenir nous réserve !
27 novembre 2011
*putain en argot bon génie
Vraie faribole déjà contée le 23 février dernier sur le forum photo que je fréquente :
Décor : un magasin d'optique-photo
Epoque : siècle dernier
Acteurs par ordre d'apparition : un client, mézigue, la patronne
Didascalies : imaginez !
Un monsieur entre :
- Bijour mim'oiselle
- Bonjour Monsieur
- Si vo plé, ji vo un roleau pour appareil
Ouille que je me dis dans mon for intérieur qu'est pas si fort que ça dans le cas précis.
Le type me plante sur le comptoir ce que l'on appelait une boîte à savon. Du ruscoff de la belle époque, celle de l'inondation du marché avec des trucs plus ou moins mauvais en moyen format économique, "620 petit trou" ou "120 gros trou" pour les péloches. Du solide mais pas forcément simple à charger.
- Mais bien sûr Monsieur, avec plaisir
Je tire sur le bidule qui ouvre le machin, bingo ! J'ai du bol, c'est un facile un peu comme un 24 X 36 mais faut des doigts de fée sinon ça coince.
Aller hop…
- Je vous mets une « noir et blanc 12 poses » ça va ? C'est le moins cher pour commencer….
"Voui, ça mi va" dit-il tout content et de se lancer dans une explication alambiquée sur l'arrivée de l’appareil dans ses pognes. Peu me chaut qu'il l'ait acquis au cousin de Tataouine (en vrai, je ne me souviens plus) mais c'est touchant son insistance à bien me faire comprendre qu'il n'est pas volé mais acheté d'occase cet appareil. "L'arabe" sur la Côte d'Usure, il est forcément voleur, fainéant, branleur, profiteur et j'en passe alors le gars, il essaie de bien montrer qu'il n'est pas comme tout le monde dit. Touchant. J'ai la gerbe d'être française dans ces cas-là.....
- Ti m'espliques mim'oiselle comment li marche ?
Merd…..credi ! C'est reparti mon kiki, combien de fois je me suis creusée la tronche pour expliquer simplement, me faire comprendre et rester aimable, commerce oblige ?
Et ben... allons-y dans la joie et la bonne humeur.... Je lui montre les boutons à tripoter, il n'a pas l'air de tout capter et pourtant…. fastoche….. enfin, bon…..
- Si vous voulez on va dehors, je prends une photo de vous pour bien vous montrer
- Voui, voui, mirci mim'oiselle !
Nous voici sur le parking du magasin. Monsieur mon client se plante fièrement devant sa zoulie Pigeot et l'affaire est faite.
Je lui demande de m'imiter, ça baigne. Il regarde où il faut, il tripote le bouton qui va bien, c'est dans la poche , ouf….
- Combien ji ti dois ? Y la photo, on fait comment pour li voir ?
Cette anodine question aurait dû m'inquiéter !
- Vous me rapportez l'appareil quand vous avez fini le rouleau, je vous l'enlève, en mets un neuf et vous développe l'ancien, ça vous va ?
- Vouivouivoui, mirci bocup, j'y riviens simaine après…….. 'voir mim'oiselle.
Semaine suivante, manœuvre prévue. Changement de bobine.
- Revenez demain, j'aurais fais les tirages
La péloche dans la boîte en spirale, le produit, tu secoues, tu rinces, tu sèches et zou ……….. Zou ?....... Zouzou ??? Rien de rien ! Sauf la première que j'ai prise et la deuxième qu'il a prise sous mon contrôle et encore… ça semble un peu voilé tout ça ! Comment savoir ce qu'a traficoté le gars ?
Quand il revient et constate les dégâts, il fait peine à voir. Il faut consoler, dire que ça arrive et que ça va aller mieux le prochain coup, patati, patata. Il est tellement penaud que je compatis ; on recommence à zéro et je lui offre la péloche neuve. La vieille grincheuse de patronne va gueuler…..nanère…. et toc.......petite revanche.
Une nouvelle semaine passe. Rebelotte, tout cramé, zutre et cote de bique. Mais qu'est-ce qu'il fout cet artiste du minimalisme inexistant ?
Finalement c'est la patronne qu'aura la bonne idée !
- Bon…. Ecoutez….. votre appareil fonctionne bien puisque deux photos faites avec nous (comment ça "nous" ? Passons….) sont réussies, voyons voir….. Vous voulez bien me prendre ? Comme ça je vois comment vous faites.
A part moi et susurré très bas, je me dis qu'avec elle devant la boîte quoiqu'il arrive la tof est ratée, hahaha….. Humhum…. Reprenons.
Le monsieur mon client vise soigneusement après avoir doctement vérifié s'il faut soleil ou soleil voilé comme qualité d'expo. Tout va bien. Il déclenche et avec une rapidité confondante ouvre le dos
- Mais qu'est-ce que vous faites ? qu'est-ce que vous faites ???? Faut pas faire ça !!! Ça fait rentrer la lum…..
Sa tronche déconfite face à mon agression me fait baisser les bras, je répète plus tranquillement ma question.
- Ji vo voir li djinn !
- Li qu…..euh…. le quoi ?
- Li djinn…… li djinn qué fé li photo !
Oh purée, sainte patience et compagnie, venez à mon secours !
- Mais monsieur on ne peut pas les voir les djinns, si vous ouvrez ils se cachent et ils font rater la photo !
Ouf deuxième……
Cet éclair de génie (oui, tous les génies étaient au rendez-vous, héhé) m'a valu une reconnaissance éternelle de la part du client qui, avec une régularité d'horloge comtoise, venait échanger son rouleau impressionné contre un vierge. Toutes ses photos étaient réussies si l'on excepte les têtes des dames un peu raccourcies parce que ce sont les enfants qu'il fallait immortaliser. Il est même passé à la couleur. Compliqué de lui faire comprendre que c'était une affaire de djinn de luxe la couleur et que je ne pouvais pas développer moi-même.
C'est ma plus jolie histoire de photo, je m'en souviens comme d'hier. En fouillant dans du bachas, je suis tombée sur moi à l'époque de cette affaire de djinns facétieux. Avec mon sérieux habituel, j'étais censée poser pour un autre client qui voulait apprendre à développer donc il craquait 12 poses vite fait avant qu'on passe au labo……. Misère de galère…..Quel métier......... J'ai fui !
Un scann. de tirage papier, je me souviens du client pas de son boîtier à moins qu'on ne lui ait prêté le Canon maison.
20 octobre 2011